Quand la mère de Catherine Perrin s'est éteinte en 2012, après avoir souffert pendant des années d'une rare maladie dégénérative, l'animatrice, musicienne et communicatrice a entrepris d'écrire un livre sur la vie de Louise Adam, sa mère. Une femme qui a connu des souffrances physiques tout au long de sa vie.

Une façon pour sa fille de vivre son deuil mais aussi de lever le voile sur un autre aspect, terrible. Son récit porte sur la maladie très rare de sa mère, la dégénérescence corticobasale, et surtout sur les traumatismes vécus durant l'enfance et qui peuvent entraîner des répercussions toute une vie durant.

Dans le cas de Mme Adam, une agression sexuelle, subie à l'âge de cinq ans, a laissé de profondes blessures. Comme il arrive parfois, le trauma a été refoulé jusque dans les cavités de sa mémoire émotionnelle. Elle n'en a pris conscience qu'à l'âge adulte. Mais, selon ce qu'a appris Catherine Perrin durant sa recherche pour l'écriture de ce récit, les blessures, même réprimées, même subies à un âge où l'on est censé oublier, peuvent perturber l'organisme pendant des années. Nous l'avons rencontrée chez elle.

Q Votre livre est très touchant, extrêmement émouvant. Je ne vous cacherai pas que j'ai souvent versé des larmes durant la lecture. Il m'a habité pendant des jours. Cela n'a pas dû être facile à écrire. Pourquoi l'avoir fait?

R Malgré le trauma qu'a subi ma mère alors qu'elle était enfant, et malgré la rage que je ressens contre cet homme, ce salaud qui lui a tant volé, je voulais faire gagner l'amour. Ce n'est pas un livre qui tombe dans la psychopop, je ne voulais surtout pas cela. Je ne voulais pas non plus écrire une histoire sensationnaliste, dans laquelle ma mère ne serait pas elle-même.

C'est un récit qui traite de la résilience, du parcours d'une vie marquée par le traumatisme. Et qui propose des pistes pour d'autres qui ont vécu de tels bouleversements.

Q Tout au long du récit, vous n'arrivez jamais à prouver hors de tout doute que ce trauma a bel et bien eu lieu. Et pourtant...

R Je n'ai jamais douté un seul instant qu'il y a eu agression. Ma mère était une femme réservée, douce, d'une totale discrétion. Elle s'est toujours protégée, elle a toujours évité les sensations fortes, les films d'horreur. Durant le film Cris et chuchotements, elle s'est affaissée, avec des symptômes qui s'apparentaient à une crise cardiaque. On a dû la transporter en ambulance vers l'hôpital. Son cerveau ne savait peut-être pas ce qui se passait, mais quelque part dans sa mémoire, son traumatisme était bien réel.

Q Comment l'avez-vous appris?

R Durant une session ostéopathique, lors d'une manipulation plus intense dans son ventre, elle a été très perturbée au point d'éclater en sanglots. L'ostéopathe lui a dit : « On vient de toucher à quelque chose de très profond ». Dans les heures qui ont suivi, des images troublantes ont traversé son esprit. Avec le temps et les souvenirs partagés de membres de la famille, elle a compris qu'elle avait été agressée sexuellement durant l'été de 1940. D'autres indices, la surprotection de ses parents, qui devaient savoir, et un vaginisme douloureux vécu au début du mariage de mes parents, portent à croire que ses souvenirs étaient réels. Elle nous en a parlé, il y a une vingtaine d'années.

Q Qu'en ont pensé les membres de votre famille? Après tout, vous révélez des éléments extrêmement privés de la vie de vos parents.

R J'en ai d'abord parlé à mes deux soeurs, qui ont été tout à fait d'accord pour que j'écrive ce livre. Puis à mon père, qui m'a appuyée inconditionnellement. Il a accepté de me transmettre les journaux intimes que ma mère a toujours tenus. J'y ai découvert une femme qui, malgré des problèmes de santé sérieux tout au long de sa vie, a connu une vie pleine d'amour. J'ai découvert aussi une femme qui avait une foi profonde qu'elle ne nous a jamais imposée. Elle ne nous a pas transmis sa souffrance, au contraire, elle nous a transmis sa confiance en la vie, sa tolérance. Mais si on avait pu l'aider, elle n'aurait pas tant souffert.

Q Les spécialistes que vous avez consultés proposent des outils inusités pour guérir de ces traumatismes.

R C'est vrai, mais ce sont des méthodes qui font leur chemin. De plus en plus de spécialistes de toutes les sphères établissent un lien entre des souffrances qui ne semblent pas avoir d'explications et des traumatismes subis durant l'enfance. Peut-être que ce livre aidera à trouver d'autres pistes.

Q Votre vie semble plus que remplie. En plus de ce livre, fruit de 18 mois de travail, vous avez lancé un disque début septembre et c'est sans parler des 32 entrevues par semaine que vous devez préparer pour votre émission de radio (Médium Large, sur les ondes de Radio-Canada Première). Et vous recommencez la tournée des concerts avec Bataclan dès octobre! Workoholic un peu peut-être?

R Non, pas du tout. D'abord, j'ai écrit ce livre, retirée, seule, sans pression. J'ai pris du temps durant la pause estivale pour le peaufiner. Plus important, je le faisais par amour et j'ai adoré l'expérience. La musique, c'est du travail, mais j'adore aussi. D'ailleurs, René Homier-Roy m'a demandé de parler de disques classiques à son émission. Je suis certaine d'aimer cela. Vous savez, le samedi, je m'interdis toute obligation. Je ne fais que ce que j'ai envie de faire. Point.

Q Avez-vous d'autres projets d'écriture?

R Écrire ce livre a été pour moi un processus exigeant, très délicat. Mais, j'en écrirais un autre si j'avais un sujet qui s'imposait à moi avec la même nécessité. Sans hésitation.

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Une femme discrète

Catherine Perrin

Québec Amérique, 136 pages