Chaque semaine de l'été, l'équipe de Lecture revisite un classique de la littérature québécoise. A-t-il tenu la route? Nos journalistes confrontent leurs impressions aux critiques d'hier.

Impossible de séparer Marie Uguay de son mythe. Comme si sa courte vie avait assuré à son oeuvre une pérennité dont elle-même n'aurait jamais osé rêver. La poète, qui aurait eu 60 ans en avril 2015, a publié L'outre-vie il y a 35 ans.

Qui a lu L'outre-vie de Marie Uguay lors de sa parution, en 1979? Trop peu de gens, avouons-le. La plupart d'entre nous l'ont d'abord connue dans les films de Jean-Claude Labrecque: La nuit de la poésie, 28 mars 1980 et Marie Uguay.

Il n'y a pas de mal à cela, bien au contraire. L'écriture accessible de Marie Uguay reste, 32 ans après sa mort, une excellente porte d'entrée à la poésie.

Il y a une bibliothèque et une maison de la culture Marie-Uguay. Un concours de poésie qui la place parmi les plus grands poètes de la francophonie. Il y a les recueils, les rééditions et les films. Bref, un mythe.

«La mort prématurée de Marie Uguay est venue couronner (si nous pouvons dire) un processus de consécration fulgurant», écrit justement Claire-Hélène Lengellé dans son mémoire de maîtrise sur la réception critique réservée à l'oeuvre de l'artiste montréalaise.

Marie Uguay a connu une carrière d'une dizaine d'années. Entre ses premiers poèmes, au début des années 70, et sa mort, en 1981, elle a écrit trois recueils: Signe et rumeur, L'outre-vie et Autoportraits.

Le nationalisme et un certain formalisme régnaient alors dans la littérature québécoise. Inclassable héritière d'Anne Hébert, Marie Uguay surgit comme une poète de l'intime et du quotidien. Et une infatigable tête chercheuse, selon le grand poète Jacques Brault.

«Marie Uguay, finalement, nous donne pleine mesure de poésie, avec l'humilité paisible de poèmes dont l'évidence est indéniable. Cela suffit, me suffit amplement», écrivait-il en 2005 dans la préface des Poèmes de Marie Uguay.



L'outre-vie porte les traces de sa maladie naissante. Les premiers poèmes du recueil ont été écrits lors d'un voyage aux Îles-de-la-Madeleine en 1976. En 1977, elle perd une jambe à cause du cancer, mais elle termine le recueil en 1978 à Montréal.

«Désir de l'autre, désir du monde», reste le credo de ce livre qui mêle désir et nature, amour et culture, lutte du corps et des corps.

L'outre-vie déborde de vie. La jeune poète cherche et trouve les mots. On note la force tranquille d'une écriture refusant la fatalité ou l'apitoiement. Marie Uguay est celle qui naît par et pour la poésie, avec la profonde conviction de traduire les sensations au-delà des évidences.

Le recueil a pris naissance entre l'élection du Parti québécois en novembre 1976 et le dépôt de la question référendaire en 1979. L'écriture de Marie Uguay se tient en marge de la question nationale, mais son allégeance ne fait pas de doute, comme elle l'exprimera dans son Journal (2005).

«La majorité s'est prononcée contre elle-même, elle a choisi le passé au lieu de l'avenir, la prison au lieu de la liberté, la mort au lieu de la vie.»

Elle souffrait donc aussi du pays. La jeune femme est au diapason d'une époque d'espoirs haut portés et vite ternis. Marie Uguay n'est pas une poète nationaliste, mais son pays, sa poésie au «je», est une irrépressible affirmation de femme libre.



Photo: fournie par l'ONF

Un an après la mort de la poète, Jean-Claude Labrecque (au centre sur la photo) sort un documentaire sur sa vie.

Désirs

Marie Uguay est, en fait, la poète de tous les désirs. C'est probablement ce qui la rend toujours pertinente et vivante. La voir lire Il existe pourtant..., son texte le plus connu et le plus lu de L'outre-vie, la montre fragile et forte, si chaleureuse et intense à la fois.

L'outre-vie réunit toutes les qualités de son écriture, mais aussi, et surtout, ses débordantes qualités humaines. C'est pour cette raison, sans doute, qu'au-delà de sa mort et de son mythe, elle continuera d'être célébrée longtemps.

Et la vie avec elle.

Extrait de L'outre vie

«J'irai partout ailleurs

l'hirondelle la fumée les roses tropicales

c'est tout le matin ensemble

puis l'homme que l'on aime

et que l'on oublie

je serai bien le jour

dans cette moisissure d'or

qui traîne dans toutes les capitales

et le tapis usé les ascenseurs

Je n'ai plus d'imagination

ni de souvenirs forcément

je regarde finir le monde

et naître mes désirs.»

Réception critique

«Dire que L'outre-vie est un livre important, à ce moment précis où la poésie se cherche de nouvelles voies d'accès à la parole, ce n'est pas assez dire. C'est un livre essentiel, un livre qui nous permettra d'ajouter à la liste des poètes majeurs des deux sexes une présence infiniment rare et neuve, d'une étourdissante autonomie.» - Suzanne Paradis, Le Devoir, 3 mai 1980.

«Les deux recueils témoignent d'une rare maîtrise de la matière poétique, d'une écriture très personnelle et originale, qui, avec assurance et fraîcheur, relate un itinéraire intérieur de qualité exceptionnelle. [...] L'outre-vie [...] aura sans doute plus d'impact que le premier recueil à cause de la plus grande maturité de son langage et surtout à cause d'une volonté peu commune de faire jaillir la vie "comme une outre gonflée".» - - Monique Benoît, Livres et auteurs québécois 1979, PUL, 1980.

«Voici en effet un être de chair et de sang, qui définit clairement son inscription dans le monde où tout est sur-complexifié, les mots dans leur simple plaisir d'être, sans prendre le parti de révolutionner le langage, mais en prenant le parti pris des sensations telles qu'éprouvées. La poésie de Marie Uguay rend compte de cette essence qui nous fait être et, au premier chef, qui la fait être telle que nous ne la connaîtrons jamais autrement.» - Michel Beaulieu, «Marie Uguay: une poésie de chair et de sang», Livre d'ici, 30 janvier 1980.