«Je trouve qu'il est de plus en plus difficile d'écrire, même des lettres à mes amis», affirmait en 1936 Samuel Beckett, qui en rédigea pourtant plus de 15 000: cette correspondance littéraire, l'une des plus importantes du XXe siècle, paraît mardi en France.

D'origine irlandaise et d'expression française et anglaise, Samuel Beckett (1906-1989) est avant tout associé au théâtre de l'absurde. Il a écrit ses plus célèbres pièces en français, En attendant Godot, Fin de partie, Oh les beaux jours!. Il est aussi romancier (Molloy, Malone meurt, L'Innommable...) et a reçu le Nobel de littérature en 1969.

Le premier volume de quelque 800 pages publié aux éditions Gallimard, Lettres I - 1929-1940 (55 euros), sera suivi de trois autres. Ces Lettres découlent d'un choix. Une édition complète aurait nécessité une vingtaine de volumes!

Les quatre tomes présenteront environ 2500 lettres, sélectionnées pour la première fois sur une période de soixante ans et adressées à tout l'éventail de ses destinataires, auxquelles s'ajoutent les 5.000 citées dans les notes.

Après s'y être longtemps opposé, Beckett avait autorisé en 1985 l'édition de ses lettres mais la complexité de sa langue, la dispersion de la correspondance, les complications du droit de propriété littéraire et les négociations avec ses héritiers ont contribué à retarder leur publication.

Ces Lettres, présentées par ordre chronologique, offrent un portrait vivant de l'écrivain, fidèle en amitié, monstre d'érudition, passionné par la littérature et la peinture européennes, à l'humour parfois féroce et naviguant avec aisance entre l'anglais, le français, l'italien et l'allemand. Polyglotte impressionnant, Beckett parlait couramment au moins cinq langues et en connaissait beaucoup plus...

Obsédé par la déchéance physique

On découvre aussi un Beckett plus intime: jeune auteur en quête d'un éditeur, essuyant refus sur refus. Son obsession de la maladie, de la déchéance physique, ses angoisses, dont il plaisante: «Cher Tom, pardonne-moi de ne pas t'avoir répondu plus tôt. Toutes sortes de circonstances mélancoliques imaginaires pour m'excuser», écrit-il à son ami Thomas McGreevy, en décembre 1931.

Ces lettres confirment aussi l'importance de sa relation avec James Joyce et l'influence énorme de son compatriote sur ses écrits ou encore sa familiarité avec l'oeuvre de Dante, Goethe, Racine et Proust.

Pendant la période couverte par ce premier volume, Beckett est assistant d'anglais à Paris, puis revient en 1930 à Dublin pour enseigner au Trinity College. Il démissionne au bout d'un an et demi. «Un charmant petit con médaillé d'or sera nommé suppléant pour un trimestre jusqu'à ce qu'ils puissent trouver une personne réellement responsable», écrit-il avec humour à son ami Tom après sa démission.

Beckett retourne à Paris, avant de gagner Londres, où il suit une psychanalyse à la Tavistock Clinic. Il voyage à travers l'Allemagne entre 1936 et 1937, avant de s'installer de nouveau à Paris, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale.

Séjournant en Irlande au début des hostilités, il retraverse la Manche le 4 septembre 1939 et demande le 26 à servir la France. Le 6 décembre, il écrit à ses amis Reavey à Londres: «je n'ai aucune nouvelle de ma démarche. Ce que je voulais c'était surtout leur accusé de réception et cela ils me l'ont donné». Un peu plus loin, il raconte: «J'ai rencontré Kandinsky l'autre jour. Sympathique vieux Sibérien». Le peintre est en fait né à Moscou.

Recruté dans la Résistance, Beckett recevra la Croix de guerre et la médaille de la Résistance.

L'édition des Lettres a été établie par George Craig, Martha Dow Fehsenfeld, Dan Gunn et Lois More Overbeck.