Le sujet n'avait jamais été traité en profondeur pour la simple raison que personne, au Canada ou au Québec, ne s'y intéressait. Personne jusqu'à ce que Linda Leith, Irlandaise d'origine, ne se rende compte que des hommes et des femmes écrivaient en anglais à Montréal, sa ville d'adoption.

Avec d'abord Mavis Gallant, nouvelliste montréalaise partie s'établir à Paris dans les années 50 et dont elle restera proche jusqu'à sa mort récente, Linda Leith s'est lancée dans l'exploration des oeuvres de ces écrivains qui avaient fait de Montréal un haut lieu de la littérature canadian. Entre autres, A.M. Klein, Irving Layton et Hugh MacLennan, auteur de Two Solitudes dont le titre, 70 ans plus tard, évoque toujours le fossé qui sépare les deux grandes communautés linguistiques montréalaises, «les deux solitudes».

Une réalité bien différente des relations entre, disons, Londres et Belfast où, malgré les liens de domination et les différences d'accents, le peuple et l'élite parlent et écrivent dans la même langue. À Montréal, dominants et dominés parlaient deux langues différentes et les tensions n'allaient pas se résorber avec l'inversion des positions dans les années 60 quand, libérée du clocher et du terroir, la littérature «canadienne-française» est finalement arrivée en ville pour écrire ce Québec nouveau qui révolutionnait tranquillement les façons de se concevoir.

«J'ai mis du temps à prendre conscience de la charge politique de ce conflit», nous dira Linda Leith en entrevue pour parler d'Écrire au temps du nationalisme, sorti chez Leméac au début du mois, traduction de Writing in the Time of Nationalism - From Two Solitudes to Metropolis Bleu (2010).

Ces bornes sont importantes, tant dans l'histoire de Montréal et du Québec que dans l'histoire littéraire du Canada. Le roman de MacLennan, prix du Gouverneur général en 1945 - il en gagnera cinq, à l'époque où les «GG» n'étaient décernés qu'aux oeuvres écrites en anglais - représente «le texte-clé du nationalisme canadien» de l'époque. Metropolis bleu - le 14e commence lundi - est un festival littéraire international axé sur la diversité linguistique et fondé par Linda Leith en 1999, après ô combien de péripéties, tant avec l'Union des écrivains du Québec qu'avec les «angryphones» de «Bill One-O-One».

Linda Leith, elle, continuait d'enseigner au collège John Abbott, élevait ses enfants nés de père hongrois et qui fréquentaient l'école française et essayait de redonner vie à la communauté des écrivains anglophones de Montréal, «totalement ignorés alors qu'ils écrivaient en anglais, la lingua franca moderne», lit-on dans cet essai au ton pondéré qui peut se lire comme l'autobiographie d'une militante pour le rapprochement. «On ne choisit pas d'écrire en français, en anglais ou en allemand: une langue ou l'autre s'impose toujours d'elle-même...»

Un lieu compliqué

À cause des migrations constantes de sa famille, Linda Leith avait passé sa jeunesse dans la «non-appartenance»; à Montréal, le «non-choix» était impossible et le choix de l'appartenance, plus difficile encore, toujours pris que l'on est entre «eux autres» et «nous autres». Elle a choisi Montréal... «C'est une réalité complexe mais, même comme communauté souterraine - la loi 101 avait fait de l'anglais une langue clandestine -, nous avions l'impression de faire partie de ce lieu compliqué qu'est Montréal.»

Plus compliqué encore pour les écrivains anglophones dont les oeuvres étaient ignorées par leur propre communauté, au premier chef par la critique littéraire de The Gazette qui n'assistait même pas aux rares lancements, trop occupée qu'elle était à suivre ce qui se passait à Toronto, capitale de la «CanLit».

«Toronto, écrit Linda Leith, se montre attentive quand il se passe quelque chose que Toronto doit savoir. Pour les écrivains anglophones de Montréal, cela voulait dire la reconnaissance internationale.» À l'image de Mordecai Richler, le provoc de la rue Saint-Urbain que «les francophones aimaient détester»... et le seul écrivain montréalais que les bonzes de «Tranna» considéraient comme un des leurs alors que les «writers» d'ici cherchaient à s'en distancier parce que trop heavy.

Les choses ont-elles changé depuis entre les métropoles? «Toronto, dira Linda Leith, s'intéresse aux stars, à ceux et celles qui se font un nom à Londres ou à New York: c'est une forme de colonialisme...»

Renaissance

Reste que, depuis 15 ans, la littérature anglo-québécoise connaît une «renaissance» avec des auteurs comme Julie Keith, Ann Charney et Yann Martel qui a remporté en 2002 le prix Booker avec Life of Pi. Plus récemment sont apparus dans les pages littéraires les noms de Heather O'Neill, Neil Smith (Big Bang), Rawi Hage (Parfum de poussière, Carnaval) et Louise Penny, une résidante de Sutton dont le héros, enquêteur à la SQ connu mondialement, s'appelle Armand Gamache...

Tous, d'une certaine façon, sont redevables à Linda Leith, professeure, écrivaine, fondatrice d'associations et de festival, éditrice depuis peu mais depuis toujours militante «pour» plutôt que «contre», qui a rassemblé des écrivains «qui pressentent l'inévitable mutation que subira la société québécoise quand elle aura pleinement accepté son pluralisme».

Écrire au temps du nationalisme

Linda Leith

Traduit de l'anglais par Alain Roy

Leméac, 220 pages