L'écrivaine française Régine Deforges, auteur de La bicyclette bleue, décédée jeudi à l'âge de 78 ans, a écrit une oeuvre féministe, défendant, avec son caractère bien trempé, une certaine idée de la liberté qui lui occasionna dans les années 70 bien des ennuis avec la censure.

Auteur d'une quarantaine de livres (jeunesse, fictions, anthologies, essais), la plus célèbre rousse de l'édition française - chevelure flamboyante et peau très claire mises en valeur par des tenues noires et dont le visage de chat évoquait une autre frondeuse, Colette - s'est rendue célèbre avec sa saga La bicyclette bleue, entamée en 1983 et dont le dixième et dernier volume est paru en 2007.

Elle a vendu plus de dix millions d'exemplaires de cette série historique, largement traduite, portée par une documentation sans faille et une écriture claire, qui parle à tous. Un film en a été tiré.

L'éditrice sulfureuse des années 70, pétroleuse des prétoires, diable roux des textes érotiques, connaissait enfin la réussite populaire.

«J'ai connu trop de succès à répétition, qui vont des livres pour enfants au point de croix, en passant par les anthologies érotiques. Les critiques ne savent pas dans quel tiroir me ranger, on parle de moi comme d'un phénomène mais jamais de mon travail, ce qui me navre», disait cette romancière délurée, fataliste et piquante, provocatrice et calme, collectionneuse d'objets religieux et de tapisseries rares.

Elle est née le 15 août 1935 à Montmorillon, dans le centre de la France, et s'inspirera de son adolescence pour raconter, dans Le cahier volé (1978), une histoire vraie: celle d'une jeune fille, ressemblant à s'y méprendre à Régine - violemment exclue de ce village pour avoir confié à son journal intime l'attrait que lui inspirait une camarade de son âge.

Elle reparlera de ce traumatisme en 2013 dans ses mémoires, L'enfant du 15 août, y racontant par ailleurs ses rencontres avec des personnalités comme l'écrivain Romain Gary, le psychanalyste Jacques Lacan ou le président François Mitterrand, qui l'emmenait dîner et lui parlait littérature.

Procès en série

Après une adolescence tumultueuse, elle se marie à dix-huit ans et s'installe à Paris. Elle prend des cours de théâtre, fait un peu de mannequinat mais trouve sa vocation en devenant libraire au drugstore des Champs-Élysées.

Elle lance avec son amant et mentor, l'éditeur Jean-Jacques Pauvert, sa maison d'édition, L'or du temps. Son premier livre publié, en 1968, Le con d'Irène, de Louis Aragon, est saisi et l'éditrice condamnée pour «outrage aux bonnes moeurs» et privée de ses droits civiques.

C'est une époque jalonnée de procès. Trois Filles de leur mère, de Pierre Louys ou Lourdes, lentes d'André Hardellet, figurent parmi les titres édités qui l'entraînent du côté de la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris.

«Comme à l'époque de mes 15 ans (ndlr: à Montmorillon), je baissais la tête pour cacher mon sourire, mes larmes aussi. Je me tenais fière et droite, m'évertuant à dissimuler la peur qui m'envahissait. Je crois que j'y réussis», a-t-elle raconté.

Pas facile en effet d'expliquer à une société française encore très corsetée sa définition de l'érotisme: «Libre, dénué de tout sens du péché, joyeux, païen et non pas didactique».

En 1975, elle écrit son premier livre: des entretiens avec l'auteur d'Histoire d'O, O m'a dit. Puis son premier roman en 1976 Blanche et Lucie (ses deux grand-mères). Suivent Les contes pervers (adapté au cinéma), Pour l'amour de Marie Salat (adapté au théâtre), Sous le ciel de Novgorod, Journal d'un éditeur, L'orage, La Hire, ou la colère de Jeanne (d'Arc), des essais comme Roger Stéphane ou la passion d'admirer, des anthologies sur les chansons d'amour, des contes pour enfants, et même un livre de recettes de cuisine.

Régine Deforges était l'épouse du dessinateur de l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur Pierre Wiazemski, dit Wiaz (petit-fils de l'écrivain François Mauriac). Mère de trois enfants (dont l'éditeur Franck Spengler) de deux mariages, elle a longtemps présidé la Société des gens de lettres et a été jurée du prix littéraire Femina jusqu'en 2006.