Pour le 20e anniversaire de sa mort, la maison d'édition Grasset, où presque toute l'oeuvre de Charles Bukowski est traduite en français, nous offre des inédits, un cadeau pour ses fans accrochés à sa prose comme à une drogue dure. Eh oui, c'est le Retour du vieux dégueulasse! Mais est-il seulement parti?

Ça fait 20 ans qu'il est mort, et son cadavre est pourtant plus vivant que bon nombre de bien-portants qui écrivent. D'ailleurs, il était le premier surpris d'avoir dépassé les 70 ans. Compte tenu de son régime, son médecin ne s'était jamais montré très optimiste quant à son «espérance de vie», mais Bukowski «n'espérait» pas vivre, il vivait, totalement, et ne comprenait pas pourquoi tant de ses concitoyens tenaient à se faire chier sans se rebiffer. «Nous sommes des reclus volontaires. Et les barreaux sont solides», écrit-il...

Certes, il a trop d'émules qui font la stupide équation vie trash = littérature, sans comprendre à quel point la littérature est précisément ce qui l'a sorti de la merde, et à quel point il était, avant tout, un monstre d'écriture, contrarié dans sa passion par les vicissitudes sociales et économiques. Peu d'écrivains ont décrit de façon aussi frontale le scandale absolu de la «jobine» pour subsister et il savait de quoi il parlait, ayant cumulé les boulots minables.

«Ne pas travailler est un péché, alors que finir en cadavre ambulant n'offense pas le Ciel», note-t-il. Bukowski ne demandait pas grand-chose à l'existence à part la paix propice à son véritable vice: écrire. Mais... il y a toujours un mais. Et c'est contre ce «mais» qu'il se battait.

Il a remporté le combat haut la main: poésie, nouvelles, romans, journal, correspondance, Bukowski était bien plus dépendant de sa machine à écrire que de la bouteille. Mais il n'a jamais vraiment compris pourquoi il devait faire le choix entre l'un ou l'autre. Et pour qui? Et pour quoi?

La preuve, c'est qu'on retrouve encore des inédits, et son oeuvre, colossale, n'est toujours pas traduite au complet en français. On vous épargne l'éternel débat «faut-il lire Bukowski en anglais ou en français?» car, peu importe les critiques sur ses traductions, il a réussi à séduire même dans la langue de Molière, ce rustre qui lui préférait Céline.

Le vieux dégueulasse

C'est par le Journal d'un vieux dégueulasse que Bukowski est sorti de l'underground en 1969, un recueil de chroniques parues dans les revues Open City et NOLA Express. Écrites sur une période de 20 ans, beaucoup ont été écartées de ce premier livre, pour aller fournir ses recueils de nouvelles.

Le retour du vieux dégueulasse réunit, selon le quatrième de couverture, «celles qui seraient injustement tombées dans l'oubli». On a l'impression de les avoir déjà lues, ce qui prouve la constance du bonhomme, mais tous les prétextes sont bons pour relire Bukowski.

Parce que Bukowski a tellement écrit qu'il est impossible de ne pas trouver son compte chez lui. Chaque lecteur a ses réserves selon ses propres blocages, mais tous peuvent tomber sur une phrase réconfortante tant les frustrations sont communes et innombrables.

C'est que Bukowski ne s'apitoie pas, il ne fait que constater. Qu'il soit chez Pivot, sur un plateau hollywoodien, dans les bas-fonds de Los Angeles, avec une femme, avec un homme, ne change rien à sa franchise. In vino veritas?

Le retour du vieux dégueulasse est donc un journal de cette vie ordinaire qui ne l'est jamais tout à fait, remplie de cuites, de gaffes, d'observations sur la singerie sociale, de bitcheries et de confessions, de baises foireuses et d'obsessions perverses, le tout dans cette liberté de ton unique de l'écrivain qui, bien avant les excités des réseaux sociaux, utilisait avec joie les LETTRES CAPITALES pour bien se faire comprendre.

Le plaisir de le retrouver est indéniable, comme prendre un verre avec un bon vieux pote. Il faut dire que 20 ans plus tard, le monde n'a pas vraiment changé...

Cinq incontournables de Bukowski

> Je t'aime Albert, nouvelles

> Women, roman

> Souvenirs d'un pas grand-chose, mémoires

> L'amour est un chien de l'enfer, poésie

> Le ragoût du septuagénaire, poèmes et nouvelles

Extrait Le retour du vieux dégueulasse

«J'ai terminé rapido ma bière et suis sorti m'aérer. Il faisait froid. Que ce fût en haut ou en bas de Delongpre Avenue, tout était mort. Chacun chez soi, cloîtré, barricadé. Derrière sa porte, ses volets. Et tous veillant sur leurs biens, leurs familles, leurs tares, leurs comptes en banque, leurs clés de voiture, leurs tronches de papier mâché, leurs intestins bouchés.»