Louise Tremblay-D'Essiambre, c'est en quelque sorte la Janette Bertrand de la saga historique: au coeur de ses histoires campées dans un Québec révolu, elle invente des personnages auxquels s'identifier, pour aborder des sujets souvent difficiles ou délicats. Entrevue avec une auteure qui a mis au monde 9 enfants, écrit 34 livres, peint beaucoup et déjà vendu plus de 2,5 millions d'exemplaires ici et en France.

«J'ai fait mon cours classique, que j'ai terminé avec une moyenne de 98%, explique Louise Tremblay-D'Essiambre en entrevue, et à 16 ans, j'ai été acceptée en médecine à l'Université Laval. Mais mon père a décidé qu'il ne voulait pas payer pour une femme médecin... J'ai alors fait mon cours d'infirmière, mais ça ne servait à rien, c'est chirurgien que je voulais devenir, j'ai donc laissé tomber. Et quand j'ai commencé à écrire, mon père m'a fait un gros clin d'oeil et m'a dit: «Tu vois, si j'avais payé ton cours de médecine, t'aurais jamais écrit!» Je l'ai envoyé promener... et on s'est mis à rire tous les deux ensuite.»

Tout Louise Tremblay-D'Essiambre se révèle dans ce petit moment d'une entrevue donnée avec fougue par une femme de 60 ans qui ne cache pas sa date de naissance: dotée d'une personnalité hors du commun et de beaucoup d'humour, elle est en quelque sorte devenue une chirurgienne des émotions et ses 34 romans sont autant d'opérations qu'elle a menées sur un lectorat sans cesse grandissant.

Le genre de femme forte qui vous explique calmement qu'elle souffre de dégénérescence maculaire, mais qui préfère vous parler d'un chapitre qu'elle est en train d'écrire pour sa nouvelle saga, Les héritiers du fleuve, et dans lequel un de ses personnages vit difficilement son homosexualité, en 1919...

Écrire historique

Louise Tremblay-D'Essiambre aime d'amour le roman historique. «Ce n'est pas pour rien que j'ai eu neuf enfants [âgés aujourd'hui de 13 à 42 ans] - plus un fils que j'ai perdu à la naissance... Il me semble que j'aurais été heureuse dans ces années-là, où on vivait et on se couchait avec le soleil. J'adore cuisiner, je fais encore mes conserves et mon pain», explique l'auteure qui écrit 5 ou 6 heures par jour, quelque 250 jours par année.

«C'est vraiment par attirance personnelle que je suis remontée dans le temps, ajoute-t-elle, c'est une époque où le bonheur se calculait beaucoup en petites choses... Aux côtés de grands malheurs comme la guerre ou la mort. Aujourd'hui, on fait un potager parce que ça nous tente, mais à l'époque, ne pas en avoir un, c'était un drame: il n'y avait pas d'épicier!»

«Et c'est une époque qui n'est pas si lointaine. Moi, j'ai vécu à Sainte-Foy, à l'époque où la laiterie Borden, sur le chemin Saint-Louis, avait encore des vaches dans le champ!» C'est de tous ces souvenirs qu'était d'ailleurs faite sa populaire saga Mémoires d'un quartier, qu'on peut acheter tant sur Amazon qu'à la Fnac, en France!

Écrire populaire

Grande admiratrice de Carlos Ruiz Zafón et de... Pierre Foglia, Louise Tremblay-D'Essiambre a choisi délibérément la littérature populaire. «On rejoint ainsi les gens dans ce qu'ils ont de plus intime: si vous saviez le nombre de courriels que j'ai reçus quand j'ai publié Antoine Mémoires d'un quartier], où il était question d'un petit garçon agressé sexuellement. Et je revois encore les files et les files de dames âgées, avec dans les mains le 2e tome de ma saga Les années du silence, où il était question d'une fille-mère qui doit donner son enfant, et elles venaient me dire: «C'est mon histoire... est-ce que votre héroïne va retrouver sa petite fille?» C'est un des moments d'émotion les plus forts de ma vie... Écrire un livre plus complexe, c'est à ma portée. Mais ce n'est pas ce que je veux faire.»

Très manuelle («je fais des cartes en scrapbooking qui me reviennent certainement plus cher que les cartes toutes faites... mais c'est encore moins cher qu'un psy!»), elle peint aussi beaucoup, et la plupart des couvertures de ses romans sont illustrées par ses tableaux. Sauf la saga Les héritiers du fleuve, car la rivière des Mille Îles a envahi son atelier l'an dernier!

Écrire toujours

Louise Tremblay-D'Essiambre célébrera ses 30 ans de carrière cette année (son premier roman, Le tournesol, a été publié en 1984), mais elle écrit depuis toujours. «J'ai encore un paquet de feuilles brouillon brochées, avec le titre Les peintres rivaux sur la couverture et, en quatrième de couverture, la mention Collection Coco: c'est un roman que j'ai écrit à 7 ans, sur deux frères peintres qui s'entretuent pour une femme. Mon Dieu, Seigneur, veux-tu bien dire où j'avais pris ça?»

Et elle entend bien écrire aussi longtemps qu'elle le pourra. «À ma retraite, j'ai décidé que j'allais écrire une bonne grosse brique, plutôt que des séries. J'ai le goût d'un gros roman unique, très contemporain. Peut-être bien sur le thème des accommodements raisonnables...»

Le succès en chiffres

2,5 millions : Exemplaires vendus de ses 34 livres, en 30 ans

5 : Sagas historiques écrites

45 000 : Moyenne d'exemplaires vendus de chacun des 12 tomes de la saga Mémoires d'un quartier

80 000 : Exemplaires vendus de chacun des six tomes de la saga Les soeurs Deblois

4 : Tomes de l'actuelle saga Les héritiers du fleuve

50 000 : Nombre d'exemplaires déjà vendus des tomes 1 et 2 des Héritiers du fleuve

Les auteurs

Aux côtés de Louise Tremblay-D'Essiambre, le Québec compte de nombreux auteurs de sagas historiques. En voici quelques-uns dont les livres sont particulièrement populaires.Michel David

En avril 2014 sera publié l'ultime livre de Michel David: le deuxième tome de sa série Mensonges sur le Plateau Mont-Royal (qui se déroule à Montréal après la Seconde Guerre mondiale) est en effet le tout dernier livre qu'il a écrit avant de mourir en 2010.

On estime à près de 1 million le nombre d'exemplaires vendus de ses cinq sagas (La Poussière du temps, À l'ombre du clocher, Chère Laurette, Un bonheur si fragile et Mensonges sur le Plateau Mont-Royal).

Professeur de français à la retraite (il a commencé à publier en 2003), il compte même de nombreux lecteurs en France.

Depuis la sortie, en octobre dernier, du premier tome des Mensonges, baptisé Un mariage de raison, le nom de Michel David vit au palmarès...

Photo: fournie par Hurtubise

Michel David

Suzanne Aubry

Suzanne Aubry est diplômée en écriture dramatique de l'École nationale de théâtre du Canada et elle a connu le succès d'abord avec sa pièce de théâtre La nuit de p'tits couteaux, en 1983.

Scénariste télé, elle a collaboré à l'écriture de téléromans (D'amour et d'amitié, L'or et le papier), puis créé et scénarisé des téléséries (Mon meilleur ennemi, Sauve qui peut!...).

Mais c'est certainement sa saga historique et romanesque Fanette, qui débute en 1847 et dont vient de sortir le 6e tome (Du côté des dames), qui l'a fait connaître du grand public.

Photo: fournie par Librex

Suzanne Aubry

Michel LangloisBachelier en arts et en philosophie, généalogiste aux Archives nationales du Québec de 1976 à 1997, ex-professeur et féru de paléographie, Michel Langlois a déjà trois sagas à son actif, toutes écrites depuis... 2009: La force de vivre (plus de 100 000 exemplaires vendus et se déroulant notamment à Baie-Saint-Paul, dont il est originaire), Ce pays de rêve (campé au début de la colonie) et la plus récente, Les gardiens de la lumière, qui se déroule sur l'île d'Anticosti, à compter de 1893.

M. Langlois a également écrit plusieurs ouvrages de généalogie (dont l'impressionnant Dictionnaire biographique des ancêtres québécois en quatre tomes), créé la Fédération des familles souches québécoises et affirmé en entrevue qu'il avait sur sa table des projets de livres jusqu'en 2018!

Photo: fournie par Hurtubise

Michel Langlois

Pauline Gill

Longtemps enseignante, Pauline Gill se consacre à l'écriture depuis le début des années 90, et publie notamment le roman Les enfants de Duplessis.

Elle a signé plusieurs sagas historiques, dont les très populaires séries Docteure Irma et La cordonnière.

Depuis deux ans, elle a entrepris une nouvelle série, Gaby Bernier, sur une jeune Québécoise dont le destin s'apparente à celui de Coco Chanel.

Par ailleurs, le prix littéraire Pauline-Gill est remis depuis quelques années, à la suite d'un concours ouvert à tous, dans le but de «reconnaître et de faire connaître les plus belles plumes des Québécoises et Québécois».

Photo: fournie par Québec Amérique

Pauline Gill

Pierre Caron

Journaliste, notaire, avocat, chroniqueur, Pierre Caron a été directeur littéraire aux éditions Lanctôt et Fidès.

Il a notamment publié un récit de son amitié avec Georges Simenon (Mon ami Simenon) en 2003, mais c'est certainement sa trilogie historique La naissance d'une nation qui a connu le plus grand succès avec ses 280 000 exemplaires vendus: il y relate les débuts du Québec, de 1663 à 1760, en s'attachant au destin de trois femmes, Thérèse, Marie et Émilienne.

Publiée d'abord en 1983 à Paris sous le titre Vadeboncoeur, rééditée en 1995-1996 à Montréal et à Paris sous le titre Les aventuriers de la Nouvelle-France, la trilogie vient tout juste d'être publiée de nouveau, chez Recto-Verso, en un seul volume.

Photo: Yvan Tremblay, fournie par les Éditions de l'Homme

Pierre Caron