L'animateur Michel Drucker est un cas à part à la télé française - on pourrait même dire à la télé tout court. Phénomène de longévité, il célèbrera 50 ans de carrière en 2014. Dans sa récente autobiographie De la lumière à l'oubli, il revient sur ses débuts et essaie de comprendre ce désir qu'ont les artistes de toujours rester sur le devant de la scène.

Q: En lisant votre livre, on conclut que le secret de la longévité est de se rappeler que ça peut s'arrêter n'importe quand.

R: Personne ne l'avoue, mais quand on fait ce métier, quand on est irradié par cette lumière si particulière que sont la notoriété, le succès, l'amour du public, on ne veut pas que ça s'arrête. Ça fait une éternité que je fais ce métier et je ne devrais plus être là. Quand les gens me demandent mon secret, je réponds: je me suis inquiété tout le temps, j'ai inquiété mon entourage, j'ai travaillé beaucoup et je me suis mis dans la tête que tout ça pouvait arrêter demain. Alors j'ai tout fait pour prolonger ce bonheur, parce qu'il faut se rappeler que cette lumière peut s'éteindre. Et de temps en temps, elle s'éteint.

Q: Ça vous fascine, ce passage de l'ombre à la lumière à l'ombre...

R: Oui. Je n'ai pas voulu écrire sur l'oubli. Le titre est De la lumière à l'oubli le livre porte sur ce passage où on n'est plus dans la lumière mais où on n'est pas encore tout à fait dans l'ombre.

Q: Vous avez des liens très solides avec de nombreuses personnalités françaises. Comment faites-vous pour avoir autant la confiance de Sarko que de Renaud?

R: C'est parce que je suis là depuis extrêmement longtemps! Quand je suis arrivé dans ce métier, la génération d'hommes politiques d'aujourd'hui avait 5 ans. Alors pour moi, il n'y a pas de clivage politique droite-gauche. Je suis largement l'aîné de Sarko, que j'ai connu quand il avait 18 ans, et de Hollande. Et j'ai pratiquement grandi avec des gens comme Johnny Hallyday. Quand je suis arrivé à la télé en 1964, de Gaulle était encore là! Ils sont rares ceux qui sont dans la lumière depuis 50 ans: il y a tous ceux qui sont tombés du train, qui sont morts, qui ont été fauchés par le destin très tôt...

Q: C'est vrai que 50 ans de métier, c'est difficile à concevoir.

R: Mais personne ne peut intégrer ça! J'ai connu Gabin, de Funès, René Lévesque, Jean-Pierre Ferland à ses débuts à Paris, je suis allé sur le barrage de la baie James avec Bécaud...

Q: Dans votre livre, vous vous en prenez au jeunisme qui règne dans le monde des médias. Une carrière comme la vôtre est-elle encore possible aujourd'hui?

R: Quand vous faites une longue carrière, le plus compliqué à traverser est que tout le monde vous fait comprendre que vous n'êtes plus jeune... Je ne crois pas que ce sera encore possible, 50 ans de télé. Il y a tellement de chaînes, se faire repérer est très difficile. Pour devenir le prochain Walter Cronkite ou Oprah Winfrey, un jeune devra attendre longtemps. C'est la même chose chez les acteurs et les chanteurs d'ailleurs. Céline Dion est vraiment une des rares à être dans la lumière depuis 25 ans.

Q: Vous recevez beaucoup d'artistes qui ne sont plus dans la lumière à votre émission. Vous êtes aussi associé à la tournée Âge tendre (rebaptisée au Québec Le retour de vos idoles). Qu'est-ce que signifie la nostalgie pour vous?

R: Ça veut dire qu'on a un devoir de mémoire. Ça veut dire que je ne veux pas oublier. Je ne veux pas oublier Diane Dufresne, Jean-Pierre Ferland, Beau Dommage, Pauline Julien, Coluche, Jean Ferrat. Chez moi, c'est un des rares endroits où on peut parler encore de Luis Mariano et de Félix Leclerc, mais aussi d'un nouveau chanteur québécois que personne ne connaît encore. Âge tendre, c'est la plus grande tournée depuis 10 ans en France. On doit à ces artistes des souvenirs, des rencontres, des bons moments. Je ne veux pas les oublier parce qu'ils nous ont fait vibrer.

Q: De la lumière à l'oubli est votre troisième livre. Vous en avez un autre en chemin?

R: Je réfléchis. Un livre, c'est trois ans de travail, parce que je continue mon boulot à la télé et à la radio en même temps. Mais j'ai une idée: j'aimerais parler de ce que j'ai lu dans le regard des autres. 

Q: C'est ce qu'on retient de vous dans ce livre: vous êtes sincèrement fasciné et intéressé par les gens, par leurs histoires. 

R: Oui, j'ai le goût des autres, j'ai une bienveillance envers eux. Les gens célèbres m'impressionnent d'ailleurs moins que les gens pas célèbres...

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De la lumière à l'oubli, Michel Drucker, Robert Laffont, 376 pages

De la lumière à l'oubli