Dany Laferrière est désormais immortel. L'écrivain québécois d'origine haïtienne a été élu jeudi à l'Académie française, rejoignant du même coup quantité d'«immortels» - terme utilisé pour désigner les membres de la prestigieuse institution - aux noms et à l'oeuvre aussi connus que Victor Hugo, Corneille, Jean de La Fontaine et Eugene Ionesco.

L'auteur de Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer devient le premier Québécois et le premier Haïtien à siéger à l'Académie française, où il aura droit au fauteuil numéro deux, qu'ont déjà occupé Montesquieu et Alexandre Dumas fils.

Dany Laferrière a été élu dès le premier tour, jeudi, devançant largement les cinq autres candidats en lice.

Bien évidemment, c'est avec grand bonheur que l'écrivain a appris en matinée qu'il ferait son entrée dans l'institution française, même s'il s'est bien gardé de manifester une trop grande émotion. «Toute grande joie très forte est toujours contenue parce que sinon, ça déborderait», a-t-il confié en entrevue à La Presse Canadienne depuis Port-au-Prince, où il participe actuellement à un salon du livre.

Pour lui, le désir de faire partie de l'Académie était tout naturel, comme il doit l'être pour tout homme de lettres.

«Si j'étais sportif, je voudrais faire partie d'une institution sportive, j'imagine. C'est la plus vieille institution réunissant des écrivains actuellement, il n'y a pas plus vieille institution que cela. (...) Quand on est écrivain et qu'on risque, en faisant partie (de l'Académie), de s'asseoir dans le même fauteuil, de façon métaphorique, que Montesquieu, que Dumas, que Voltaire, que La Fontaine, que Racine... il me semble que c'est pas trop mal!», a-t-il lancé en riant.

L'auteur ne sait pas encore à quel moment il pourra se rendre à Paris rencontrer ses collègues, mais il dit avoir déjà hâte de se trouver parmi eux et de pouvoir discuter avec certaines des personnes les plus brillantes de la Francophonie.

«Je ne serai pas un académicien fantôme, c'est-à-dire quelqu'un qu'on ne voit plus à partir du moment où il est élu. Ça m'intéresse, les rencontres, les travaux et les relations entre les membres», a-t-il assuré.

La nouvelle de son entrée à l'Académie française a suscité de fortes réactions, tant au Québec qu'à Haïti, où plusieurs personnes ont tenu à le féliciter.

«C'est une grande fierté pour nous. Un Québécois qui a des origines haïtiennes, un peuple avec lequel nous avons beaucoup d'affinités, avec lequel nous sommes très solidaires, alors je veux féliciter Dany Laferrière», a déclaré la première ministre du Québec, Pauline Marois, ajoutant avoir elle-même recommandé la candidature de l'écrivain.

«C'est avec beaucoup de joie et de fierté que je salue l'élection de Dany Laferrière à l'Académie française!», a déclaré sur Twitter le président de la République d'Haïti, Michel Joseph Martelly.

«Dany, Haïti est fière de vous!», a-t-il écrit.

En soirée jeudi, dans un communiqué, le premier ministre canadien Stephen Harper a contribué au concert d'éloges.

«Cette élection au sein de cette prestigieuse institution est l'aboutissement d'une vie consacrée à l'écriture, à la littérature et à la promotion de la langue française, et témoigne de la vitalité de la francophonie canadienne et de la place du français au Canada, a déclaré M. Harper.

«Son élection vient renforcer la place du Canada comme pays où on parle français, comme pays où l'on défend la langue française et comme pays où brillent les meilleurs écrivains, a également fait remarquer le premier ministre.

«Je suis convaincu que la présence d'un Canadien au sein de l'Académie française contribuera aux objectifs de cette prestigieuse institution tout en incitant les jeunes, les écrivains canadiens de langue française et de toute identité linguistique, à travailler à l'atteinte de l'excellence dans le domaine littéraire et à poursuivre leur passion pour la langue et l'écriture», a ajouté M. Harper.

L'Académie française est composée de 40 membres élus à vie. Sa principale mission, telle qu'expliquée sur son site, est de «travailler, avec tout le soin et toute la diligence possibles, à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences».

Selon Pascal Assathiany, directeur général des Éditions du Boréal, où Dany Laferrière a publié certains de ses romans, l'écrivain québécois a tout ce qu'il faut pour bien remplir son rôle d'académicien.

«Il y a une phrase qui disait que pour être à l'Académie française, il faut avoir du talent, il faut avoir une notoriété et il faut être un homme agréable. Et si vous réfléchissez cinq minutes, Dany a ces trois qualités-là. C'est un écrivain de talent, il est connu dans le monde entier ou presque et c'est quelqu'un d'extrêmement agréable, civilisé, gentil, généreux. Je pense que ça en fait un bon compagnon d'Académie», a affirmé M. Assathiany, soulignant que 2013 demeurera une année «spéciale et faste» pour les lettres au pays, avec l'élection de M. Laferrière à l'Académie française et le prix Nobel remporté plus tôt cet automne par la Canadienne Alice Munro.

Du côté de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois, on souhaite que la nomination d'un Québécois d'origine haïtienne soit le signe d'une ouverture plus grande de l'Académie française à toute la Francophonie.

«Le mandat de l'Académie en est un de protection de la langue française, a souligné la présidente Danièle Simpson par communiqué. Nous considérons cette vénérable institution comme un rempart pour les francophones de tous les continents qui se battent pour assurer la survie et la qualité de leur langue.»

«Trente années après l'entrée du premier Africain à l'Académie française, je suis particulièrement heureux de voir ce grand écrivain francophone, descendant de l'Afrique, rejoindre la plus prestigieuse institution en matière de langue française. C'est un citoyen du monde qui a été élu aujourd'hui, un francophone profondément enraciné dans sa langue. C'est une fierté pour toute la Francophonie et pour son combat en faveur de la diversité», a pour sa part indiqué le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf.

Né à Port-au-Prince en avril 1953, élevé à Petit-Goâve, Dany Laferrière a immigré au Québec en 1976. Il a publié son premier roman, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, en 1985. De nombreux romans et essais ont suivi par la suite, qui lui ont permis de remporter notamment le prix Médicis, en 2009, pour L'énigme du retour. Son plus récent ouvrage, Journal d'un écrivain en pyjama, une réflexion sur la lecture et l'écriture, est paru plus tôt cette année aux éditions Mémoire d'encrier.