Des livres écrits par Virginia Woolf, on ne dira jamais qu'ils sont charmants. Mais absolument charmant: telle est l'expression qui s'impose à la lecture du roman Le jardin blanc, délicieux polar que l'auteure américaine Stephanie Barron a imaginé en s'inspirant de Virginia Woolf!

Ex-journaliste et ex-membre de la CIA, Stephanie Barron fait dans le polar éminemment littéraire: elle a déjà consacré 11 volumes aux «enquêtes» qu'aurait menées Jane Austen en détective amateur si celle-ci avait été aux prises avec des crimes plutôt qu'avec des amours difficiles au XIXe siècle - style littéraire compris. Sept de ses enquêtes sont déjà traduites en français (Jane Austen et le testament du comte, Jane Austen et les fantômes de Netley, etc.). On l'aura compris, ces pastiches permettent à Barron de rendre un hommage inattendu et ludique à Austen.

Avec Le jardin blanc, elle rend cette fois hommage à Virginia Woolf, à son oeuvre et à sa vie. Ce roman est toutefois d'une autre eau que la série des Jane Austen parce qu'il a un pied en 1941 et l'autre en 2008 et parce qu'il oppose, avec humour, deux visions anglo-saxonnes du monde: celle des Américains et celle des Britanniques.

Dans ce roman aussi policier que romantique, Jo Bellamy est une paysagiste en visite au fameux domaine de Sissinghurst, restauré et habité par Vita Sackville-West, amie et amante de Virginia Woolf (cette dernière a écrit son roman Orlando en 1928 en s'inspirant de Vita). Encore aujourd'hui, on peut visiter les jardins imaginés par Vita et son mari, parmi les plus beaux d'Angleterre, dont le fameux «Jardin blanc».

Or, il se trouve que le grand-père de Jo Bellamy a vécu, jeune homme, à Sissinghurst, avant d'émigrer aux États-Unis. Et que ce grand-père vient de se suicider pour des motifs qui ont peut-être bien leur source dans ce jardin planté uniquement de fleurs blanches! Ainsi s'amorce une enquête dans le temps et l'espace (avec visite notamment des mythiques universités d'Oxford et Cambridge!), où Jo doit à la fois affronter la hargne de la chef jardinière de Sissinghurst, les avances de son richissime employeur américain, les rapports troublants avec un expert en manuscrits de la grande maison d'enchères britannique Sotheby's, les ambitions démesurées d'une professeure de littérature, la peine et l'incompréhension provoquées par le suicide de son grand-père, la quête de la «vérité» sur le suicide de Virginia Woolf...

La source

C'est après qu'on lui eut fait remarquer que le corps de Woolf n'avait été retrouvé que trois semaines après son suicide par noyade, en mars 1941, que Stephanie Barron a imaginé l'inimaginable: et si cette mort était plutôt un meurtre maquillé en suicide, ayant pour cadre la Seconde Guerre mondiale? À l'aide d'un journal intime fictif, de vraies lettres et poèmes écrits par Vita Sackville-West, d'authentiques faits de société et des relations que Virginia entretenait réellement avec sa soeur Vanessa et son mari Leonard, la New-Yorkaise réussit à créer un suspense digne de ce nom. Sans compter que ce gros polar (406 pages!) plaira aussi aux amateurs de jardins, d'Histoire avec un grand H, de romans d'espionnage, d'histoires d'amour et aux anglophiles de tout acabit.

Mais surtout, sous ses dehors franchement charmants et son ton très souvent drôle quand Yankees et Brits s'affrontent, il y a, dans Le jardin blanc, un véritable hommage à Woolf, à son écriture et à son destin, tout en nuances et en multiplicité de points de vue. De quoi donner envie de la lire ou la relire.

***1/2

> Le jardin blanc, Stephanie Barron, Éditions Nils, 406 pages.