Depuis une dizaine d'années, l'Ontarien Malcolm Gladwell s'est taillé une réputation d'essayiste avec des thèses iconoclastes. Le journaliste, qui travaille au prestigieux magazine The New Yorker, était cette semaine à Montréal pour une conférence à l'Université McGill. La Presse l'a rencontré au Ritz pour discuter de son dernier livre, David and Goliath, où il explique les faiblesses des forts et les forces des faibles.

Q : Comment avez-vous eu l'idée du livre?

R : Je me suis intéressé aux conflits asymétriques, dont on parle beaucoup. Je ne voulais pas prendre un conflit en cours, parce qu'il est difficile de tirer des leçons d'événements qui ne sont pas terminés, ni un conflit trop ancien, parce que je voulais parler à des gens qui l'avaient vécu. Ça m'a mené en Irlande du Nord. À ce moment, j'ai bifurqué vers la tragédie pour un parent de perdre un enfant, et j'ai trouvé un autre exemple de ce genre à Los Angeles. C'est l'homme qui est à l'origine de la loi des «trois prises», qui prévoit des peines de prison sévères après trois condamnations, même si elles sont mineures. Je me suis aussi souvenu que des premiers ministres britanniques et des présidents américains ont perdu l'un de leurs parents tôt dans leur enfance. Ça m'a donné l'idée que parfois, un événement négatif, un désavantage, peut être une source de force.

Q : Vous vous intéressez à la dyslexie en écrivant l'histoire de David Boies, l'avocat à succès qui a notamment représenté Al Gore devant la Cour suprême après la présidentielle de 2000. Mais vous précisez que les dyslexiques sont surreprésentés dans les prisons. Peut-on considérer qu'il s'agit d'un handicap qui est négatif pour plusieurs, mais très positif pour un petit nombre?

R : Je ne voudrais pas dire que dans son ensemble, la dyslexie a un effet net positif. Mais on peut noter que certains dyslexiques tournent cet obstacle en avantage. David Boies s'est découvert des qualités d'orateur à l'université. D'autres dyslexiques dont je raconte la vie sont devenus très importants dans le domaine de la finance ou du cinéma en profitant de rencontres inopinées avec une certaine effronterie.

Q : Vous évoquez la difficulté de la «privation relative», le sentiment d'infériorité qu'on ressent à côtoyer plus riche ou plus intelligent que soi. Certaines études avancent que les sociétés plus inégales sont aussi moins en santé. Qu'en pensez-vous?

R : Comme dans beaucoup de domaines, il y a ici une courbe en U. Une société sans inégalité n'est pas désirable parce qu'il faut donner de la motivation aux gens. Mais trop d'inégalité diminue aussi la motivation parce que les plus pauvres pensent qu'ils ne parviendront jamais à être riches.

Q : L'inégalité diminue-t-elle nécessairement la mobilité sociale?

R : Je ne sais pas. Mais l'inégalité qu'on voit aujourd'hui aux États-Unis, en Russie, au Venezuela et en Argentine est un danger. Il faut diminuer le niveau d'inégalité pour retourner au niveau optimal.

Q : Vous écrivez qu'il vaut mieux pour un étudiant moyen d'éviter les écoles d'élite, pour ne pas être toujours le dernier de la classe. Faut-il éviter aussi les écoles où il y a beaucoup de cancres et où l'excellence scolaire est vue négativement par les élèves?

R : Encore ici, il faut viser le bon niveau. Je pense que tous les élèves ambitieux, que ce soit à l'université ou au secondaire, devraient aller dans une école ayant un certain degré de sélection des élèves. Mais si on n'est pas parmi les plus brillants, il faut éviter de se frotter à l'élite.

Q : Vous affirmez qu'il y a une limite aux bénéfices des classes comportant moins d'élèves, parce qu'à un certain point, quelques trouble-fêtes peuvent imposer un climat délétère. Vous précisez que les syndicats d'enseignants tiennent mordicus à des classes plus petites. Les syndicats sont-ils des freins à la réforme de l'enseignement?

R : Non, je pense que ce sont les parents qui font pression pour des classes plus petites. Ils sont obsédés par cette idée, ils la poussent à l'extrême. Il est évident qu'il ne faut pas qu'il y ait 40 enfants par classe, mais dans certains cas, on voit des classes de 15 élèves, c'est contre-productif. Ce sont des enseignants qui m'ont parlé de ce problème.

Q : Le maire de Toronto, Rob Ford, est-il un David ou un Goliath?

R : C'est l'exemple parfait du gosse de riche qui a mal tourné. Il illustre les périls des privilèges. Je constate avec soulagement qu'enfin sa cote de popularité continue à descendre, mais franchement, je ne peux comprendre que 20% des Torontois soient toujours satisfaits de sa performance de maire.

Q : Que pensez-vous de la Charte de la laïcité proposée par le PQ?

R : Ça me semble excessif. Je comprends qu'on puisse exiger d'un fonctionnaire qu'on lui voit le visage et donc qu'on interdise le niqab dans certains cas. Mais franchement, n'y a-t-il pas des combats plus utiles à mener dans notre société?