Expozine, le grand événement des petits éditeurs, se tient demain et dimanche dans son habituel sous-sol d'église. Julie Doucet y présentera une compilation bilingue de sa série culte Dirty Plotte coiffée d'un titre spectaculaire: Fantastic Plotte! Pour lecteurs avertis, évidemment.

Sur papier, Julie Doucet n'a aucune pudeur. Son alter ego dessiné, la Julie de Dirty Plotte, se décrotte le nez en lisant Dostoïevski et a parfois l'air d'une obsédée sexuelle curieusement préoccupée par ses menstruations. Elle manie aussi la hache, la lame de rasoir et le couteau. Pour couper ce que vous pensez, oui. Sans métaphore.

La fille trash qui existe sur papier n'a pas grand-chose à voir avec la personne timide et posée qu'on pourra rencontrer cette année encore à Expozine. Dirty Plotte, c'était il y a plus de 20 ans, c'est vrai. Et puis, entre Julie Doucet et son autofiction dessinée, il y a le mot «fiction», justement.

«Ça me semblait naturel de me prendre moi-même comme personnage, raconte l'artiste. Mais je n'appellerais pas ça de l'autobiographie.» Ce qui est mis à nu de manière crue dans sa bédé «féministe de mauvais goût» - c'est écrit sur la couverture -, ce n'est pas tant son intimité que son imaginaire intime. Son expérience de la vie, en somme.

Phénomène underground

Dirty Plotte était un phénomène au tournant des années 90. Une rare bédé qui vibrait au rythme de Montréal et d'une culture alternative dont les repères étaient le disquaire Dutchy's et les Foufs. Bérurier Noir, influent tandem punk français, apparaît sur la couverture du numéro trois, comme quoi cette bédé était branchée sur les icônes underground du temps.

Ce fut aussi un rare exemple de réussite.

À une époque où être publié est «inimaginable», Julie Doucet signe un contrat «généreux» avec Drawn&Quarterly, prestigieuse maison d'édition anglo-montréalaise alors émergente.

«Dès le début de Dirty Plotte, je pouvais en vivre», assure Julie Doucet, qui fut par la suite publiée dans Weirdo, magazine de Robert Crumb.

Julie Doucet regarde cette période avec un certain amusement. «Je dessinais tout ce qui me passait par la tête», dit l'artiste, qui se demande encore où elle allait chercher ces histoires «pas d'allure».

«Je ne me sentais pas tellement féminine, à l'époque. Je n'avais pas l'impression que les filles allaient s'identifier à ce que je faisais, précise-t-elle par ailleurs. Quand j'ai vu que ça les intéressait, j'ai vu que je n'étais pas toute seule.»

De «l'inédit»

Fantastic Plotte! , livre rose pétant concocté pour L'Oiede Cravan, regroupe les versions originales anglaise ou française de Dirty Plotte (elle passait d'une langue à l'autre) et puis des versions traduites. Une bonne partie de ce matériel n'avait jamais paru en français.

Julie Doucet profitera aussi d'Expozine pour présenter ses oeuvres actuelles, des livres faits à la main, en partie à l'aide de la technique de la sérigraphie, écrits avec des mots découpés dans de vieux magazines.

«Écrire directement, ça me terrifie, avoue-t-elle.

«Les collages, c'est un truc pour contourner ça. Je pars avec une idée de ce que je veux dire et ensuite, à la recherche des mots, explique-t-elle.

«Je trouve finalement des mots qui ne veulent pas dire exactement la même chose, qui sont juste à côté. Ça crée de petits accidents. J'aime ça.»

La reine du trash est sereine.

Expozine se tient demain et dimanche au 5033 rue Saint-Dominique.

Un portrait d'Expozine

Des bédés

Mécanique Générale sera parmi les nombreux éditeurs présents à Expozine. La maison récemment ressuscitée a publié Non-aventures, compilation augmentée des oeuvres de Jimmy Beaulieu, et le dernier Philippe Girard (Love Apocalypse). Front Froid, La mauvaise tête, Drawn&Quarterly et Conundrum Press (qui publie désormais Rabagliati en anglais) figurent aussi parmi les participants, tout comme de nombreux artistes, tels Richard Suicide, Boum, Valium et le créateur de la série Pope Hats, vantée par Chester Brown.

Des livres d'art

Expozine, c'est le grand marché de la petite édition et des livres-objets. Julie Doucet offrira les siens, qu'elle achevait encore d'imprimer au début de la semaine. L'Oie de Cravan proposera notamment un superbe livre de Michel Hellman (Mile End) intitulé Petit guide du Plan Nord. L'artiste qui avait épaté avec Iceberg, il y a quelques années, impressionne de nouveau avec une oeuvre dont les fines illustrations ont été découpées dans des sacs-poubelle. Impressionnant.

De l'artisanat hétéroclite

Ce petit supermarché de l'art underground offre aussi des articles liés ou non à l'univers livresque. Des sérigraphies, des macarons illustrés et... des t-shirts. Ceux qui sont allergiques aux designs génériques et ont déjà un faible pour baltrakon ou montréalité devraient prêter attention au stand du studio Doctorak Co., qui offre des t-shirts aux dessins et aux slogans hilarants. Du moins pour les intellos de la littérature!