Dans la dernière décennie, 20 librairies indépendantes ont fermé leurs portes. Et il pourrait y en avoir d'autres bientôt, car plusieurs ont des «problèmes financiers majeurs», a prévenu hier l'Association nationale des éditeurs de livres (ANEL).

Les grands détaillants comme Costco et Walmart accaparent 11% du marché du livre. Ils vendent surtout des nouveautés, parfois en offrant un rabais important, de 20 à 30%, que ne peuvent se permettre les indépendants.

«Personne de sciemment intelligent ne va dire que nous allons sauver la totalité des libraires [avec un prix unique]», a toutefois avoué le président de l'ANEL, Jean-François Bouchard. Il rappelle que différents facteurs expliquent cette fragilité, comme le modèle d'affaires et le manque de relève.

Pour un prix unique

En août dernier, éditeurs, libraires, auteurs et bibliothèques lançaient la campagne «Nos livres à juste prix». La mesure avait aussi été proposée par le Conseil consultatif de la lecture et du livre en 2011. Les éditeurs français Gallimard et Hachette ainsi que l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), un think tank de gauche, les appuient.

Les libraires sont déjà protégés par la Loi sur le livre, qui exige que les écoles et les bibliothèques s'approvisionnent chez eux. Le milieu scolaire génère un peu plus du quart de leur chiffre d'affaires. Mais les ventes au détail représentent leur principal revenu, et les nouveautés leur offrent les meilleures marges.

Pour être reconnu librairie agréée, un indépendant ou un membre d'une chaîne comme Renaud-Bray doit offrir 6000 titres, dont 2000 d'auteurs québécois, et dans 7 catégories. Par comparaison, on retrouve environ 300 titres disponibles dans les rayons de grands détaillants.

«Inutile et nuisible»

Le milieu du livre n'est pas unanime. Québec Amérique et Renaud-Bray s'opposent au prix unique. L'Institut économique de Montréal s'oppose aussi à la fixation des prix. Ce serait une mesure «inutile et nuisible», croit Jacques Fortin, président des éditions Québec Amérique. Les grands détaillants feraient plus d'argent et en profiteraient donc, selon lui, pour améliorer leur offre et concurrencer encore plus les librairies. L'application de la loi serait en outre «chaotique», prévient-il. Il serait, par exemple, difficile d'y assujettir le géant en ligne Amazon.

La Coalition avenir Québec (CAQ) s'oppose au prix unique. Elle dit défendre les consommateurs. Québec solidaire est en faveur, pour protéger les libraires indépendants et diversifier l'offre.

Le ministre de la Culture, Maka Kotto, veut étudier le mémoire final de la commission parlementaire avant de se prononcer. Il prendra position avant la fin de l'automne.

Ce n'est pas un nouveau débat. Il y a plus de 10 ans, le rapport Larose recommandait déjà le prix unique.

Les petits libraires acculés au mur

Les best-sellers de Dan Brown vendus au Costco pas si loin du rayon des casseroles menacent-ils les libraires indépendantes? C'est la crainte d'une partie importante du milieu du livre, qui croit que la survie des petits joueurs est menacée par les rabais imbattables qu'offrent les grands détaillants sur les nouveautés.

La commission parlementaire sur une éventuelle réglementation du prix des livres neufs, qui s'est ouverte hier à Québec, se penchera donc sur cette proposition visant à contrôler le prix des nouveautés pendant une durée limitée. L'enjeu, selon les indépendants: protéger la diversité de l'offre littéraire et une certaine idée de la culture.

La proposition: fixer le prix pour neuf mois.

Le prix serait fixé par l'éditeur ou l'importateur. Il s'appliquerait à la fois pour le prix en magasin et en ligne, pour une période limitée de neuf mois. On permettrait aux vendeurs d'offrir un rabais maximal de 10%.

Pour ce, il faudrait changer la Loi sur le livre, adoptée en 1981.

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En chiffres

Ventes annuelles

Ventes annuelles de livres neufs: 791 millions en 2010

C'est quatre fois plus que les billets de cinéma et trois fois plus que les billets de spectacle.

Moins de ventes québécoises

La vente de livres des éditeurs québécois diminue:

> 241 millions en 2010

> 201 millions en 2012

Soit une baisse de 17%

Les ventes de livres étrangers représentent 70% du chiffre d'affaires de l'ensemble du réseau.

Nouveautés à rabais

> Kim Thuy, Man

Prix suggéré: 24,95$

Amazon.ca: 21,49$

Costco: 17,19$

Walmart: ND

Renaud-Bray: 24,95$

Libraire Pantoute (indépendant): 24,95$

> Dan Brown, Inferno

Prix suggéré: 34,95$

Amazon.ca: 30,59$

Costco: 24,99$

Walmart: 26,21$

Renaud-Bray: 34,95$

Libraire Pantoute (indépendant): 34,95$

La part des indépendants diminue

> Costco et Walmart: 11% du marché du livre au Québec

> Librairies en chaîne: 45,5% en 2006, 53,5% en 2010

> Librairies indépendantes: 35% en 2006, 28% en 2010

>La part de marché des libraires indépendants diminue, mais celle des libraires en chaîne augmente. Parmi ce qui nuit aux indépendants: la concurrence des grands détaillants avec les nouveautés, la vente en ligne auprès des géants comme Amazon et le numérique.

Aide au milieu du livre

> 3,4 millions aux créateurs via la SODEC

> 18,7 millions aux éditeurs et aux libraires; 6,2 millions sont donnés en programme d'aide. Le reste est accordé en aide au financement et autres mesures fiscales.

> 91 millions aux bibliothèques publiques, dont 54,6 millions à Bibliothèques et Archives nationales du Québec

> Autre aide au milieu: les livres ne sont pas taxés. Coût annuel de cette mesure: 55 millions.