Auteur de romans noirs et d'essais, éditeur, journaliste, militant libertaire engagé, le Français Serge Quadruppani est aussi traducteur. Après avoir adapté en français Stephen King, Philip K. Dick et une partie des mémoires de Margaret Thatcher, il s'attaque, vers 1999, à la traduction d'auteurs italiens, dont le plus célèbre est le prolifique Andrea Camilleri, créateur du commissaire Salvo Montalbano. Dialogue avec «il traduttore».

C'est à la fois un passage obligé et un petit bonheur récurrent: lire l'Avertissement du traducteur qui précède chacune des enquêtes de Montalbano. C'est là que Serge Quadruppani explique sa technique pour traduire la langue de Camilleri, le «camillerese», amalgame d'italien, de sicilien et de dialecte de la région d'Agrigente.

Un exemple? «- Ah, dottori, dottori! Une arévolution, il est arrivé! Vosseigneurie le connaît l'endroit où qu'il tenait son bureau, le comptable Gragano ? (...) Eh bè, y a qu'un bonhomme armé d'un revorber, il est entré. C'est Fazio qui s'en est aperçu, que le hasard a fait qu'il passait par là par hasard. Il paraît que le type a le tention de tirer sur la segrétaire. Il dit comme ça qu'il veut qu'on lui arestitue des sous que Gragano lui vola, que sinon, il sassine la bonne femme.» (Extrait de L'odeur de la nuit de Camilleri.) On comprend tout, et on comprend surtout qu'on n'est pas chez nous!

«J'ai eu la chance d'avoir des éditeurs (Christian Garaud au Fleuve Noir et Anne-Marie Métailié dans sa maison) qui m'ont fait confiance et qui ont été convaincus par mon travail dès les premières traductions, explique Serge Quadruppani en entrevue. Ce qui importait, c'était que le traducteur fasse un effort pour faire sentir les particularités du «camillerese»: sans cet effort, on aurait vraiment trop perdu des singularités de Camilleri. Je sais que les traducteurs allemand et étatsunien, par exemple, font aussi cet effort.»

Une des difficultés supplémentaires pour ses traducteurs est que Camilleri ne parle qu'italien. «Mais s'il y a un mot que ni moi ni ma complice dans le travail et la vie, Maruzza Loria, ne comprenons pas, je peux toujours passer un coup de fil au Maestro, nous sommes devenus amis. Toutefois, cela devient très rare, car je suis devenu un «camillerilogue» confirmé ! Chaque fois que je vais à Rome, je passe le voir, et il me raconte ses derniers romans, je sais à quoi je m'attaque, en général. Il dit que c'est pour lui une excellente chose d'être traduit par quelqu'un qui, par ailleurs, est romancier.»

On peut donc avancer que la traduction de Quadruppani a participé activement au succès phénoménal des enquêtes de Montalbano dans toute la francophonie? «Ce qui transforme un auteur en bestseller, répond-il, c'est une alchimie sur laquelle j'ai peu de prise. Mais bon, soyons sérieux: non, je ne pense pas qu'il aurait pu connaître le même succès s'il avait été traduit banalement. La preuve: il l'a été par d'autres, sur certains titres (NDLR: Camilleri écrit aussi des romans non policiers), et ça n'a pas eu du tout le même succès que Montalbano!»