C'est en achetant Je vais mieux qu'une grande question est apparue devant moi: à quel volume doit-on régler notre voix dans une librairie? J'y ai rencontré une «connaissance on devrait» (les «connaissance on devrait» sont celles avec qui on se dit toujours qu'on devrait aller manger, prendre un verre, et on ne le fait jamais. On le sait tous les deux, on ne se verra jamais que par hasard ou obligation professionnelle, mais on se laisse toujours avec un «on devrait...»).

Au bout de quelques secondes d'échange, je me suis aperçu que mon interlocuteur y allait à plein volume pendant que j'optais pour un chuchotement faiblard, mais empreint d'une sensualité dont je fus le premier surpris.

-Pourquoi tu chuchotes?

- C'est une librairie.

- C'est pas une bibliothèque.

- Oui, mais y'a des livres. La loi s'applique. C'est pas parce qu'on les rapporte pas après qu'on a le droit de se hurler l'cul.

- On devrait aller prendre un verre avec Éric.

-Ben oui, on devrait... (Je pensais que c'était lui, Éric.)

Si on exclut le hockey et répondre à des courriels en retard, j'ai deux passe-temps: la musique et la lecture. Les deux se disputent souvent les heures récréatives. Mon salon, gelé en 1973, appelle ardemment l'écoute de vinyles. Officiellement, je suis incapable de lire en écoutant de la musique et je dois faire un choix. Mais il m'arrive parfois de surestimer mes capacités et de vouloir rentabiliser mon temps en agençant les deux activités. De plus, David Foenkinos se lit très bien, c'est léger, drôle et ça glisse tout seul...

J'ai donc tenté l'audacieux, mélanger musique et lecture. J'ai des règlements. Si je lis en français, j'écoute de la musique anglophone, et si je lis en anglais, j'écoute de la musique francophone. Sinon, les récits se mélangent. La barrière des langues assure l'indépendance des histoires.

Pour Je vais mieux, j'opte donc pour James Brown. J'aime James Brown, mais celui de la fin des années 70, début 80. Le James Brown du troisième divorce, du passage en prison, du troisième enfant illégitime. Pas le James Brown de 1962 en cravate et souliers propres qui chante I Feel Good, non, j'aime celui de 1977 en jumpsuit et bottes de serpent qui se lamente sur les combien non mémorables It's to Funky in Here et I Got Ants in my Pants, ou encore la trop subtile Take a Look at Those Cakes.

En demeure que le funk huileux issu de cette phase de sa carrière habite un 33-tours avec aplomb. Je choisis Hell de 1974. (Y'a un coup de gong entre chaque toune. C'est magique.)

Et j'attaque simultanément Je vais mieux. Le roman de David Foenkinos est l'histoire fascinante d'un mal de dos. Le personnage principal, quadragénaire légèrement blasé, souffre d'un mal de dos arrivé de nulle part. Sa douleur et les conséquences de celle-ci l'amène à agir autrement, à sortir de sa routine, à prendre toutes sortes de rendez-vous, à rencontrer des spécialistes, à laisser entrer de nouveaux personnages dans sa vie... et ce mal devient la cause directe d'un chambardement complet de son existence, et ce, dans toutes les sphères de sa vie.

Le roman, écrit à la première personne du singulier, ne nous dévoile jamais le nom de son héros. J'ai aimé cet effet. C'est justement à l'inverse de James Brown, dans le coin de mon salon, qui se fait crier un «James Brown!» par ses choristes tous les deux refrains...

D'ailleurs, mon mélange ne tient pas la route. Il se trouve que le clash entre un vieux chanteur funk de la Géorgie et un jeune auteur intello français est tout simplement trop fort. L'accord est impossible, je m'enlise. Des morceaux de roman se retrouvent dans Papa Don't Take no Mess pendant que des «good god!» et des «hot pants!» se glissent entre les lignes de Foenkinos. Les deux antagonistes se répondent:

David Foenkinos: «La haine des autres est un leurre qui soulage la névrose.»

James Brown: «Shake that funky thang...»

David Foenkinos: «Il est très difficile de constater le manque de bonheur, lorsqu'on n'est pas dans le malheur.»

James Brown: «Big fine mama give me a chance!»

David Foenkinos: «C'est sur le visage des autres qu'on peut lire le nôtre.»

James Brown: «What you need is what I got, make me feel body hot!»

Je ne vous dévoilerai pas comment se termine le roman, mais vers la fin, le narrateur «is like a sex machine».

Bonne lecture.