La semaine a été bien remplie pour les participants aux Premières rencontres québécoises en Haïti, qui sont tous repartis avec une seule idée en tête: revenir.

«C'est la rencontre du pays rêvé et du pays réel», résume Rodney Saint-Éloi, éditeur de Mémoire d'encrier et créateur de l'événement. «Les gens se sont rendus compte qu'on leur avait menti sur ce pays» ajoute-t-il avec un sourire. «Par exemple, Marie Hélène Poitras ne se doutait pas qu'il y avait des chevaux en Haïti!»

En effet, lors d'un cours séjour à Port-Salut, pas loin des Cayes, le coin de pays de Rodney Saint-Éloi où il a été célébré, on a voulu faire plaisir à l'auteur de Griffintown qui voue un culte aux chevaux en lui proposant, en guise de cadeau, une petite chevauchée surprise.

Un bon exemple de l'esprit de ces Rencontres, qui se voulaient un échange, les invités recevant autant qu'ils donnaient. Un rapport d'égalité dans un pays où l'on débarque souvent en sauveur, c'est rafraîchissant.

Plus de 22 écrivains et autant d'éditeurs et d'acteurs du monde du livre québécois ont ainsi pu découvrir l'hospitalité haïtienne; la plupart des participants visitaient le pays pour la première fois et ont pu ainsi voir voler en éclat certains préjugés tenaces.

Notamment India Desjardins, qui a connu un grand succès auprès des élèves dans les écoles. De retour au Québec, elle écrivait sur sa page Facebook: «Avant de venir en Haïti, certaines personnes m'ont fait peur. On m'a servi tous les préjugés dangereux sur ce pays. Ce que je retiens de cette aventure, c'est que les gens d'Haïti ont envie qu'on se fasse de nouvelles images de leur pays que celles du séisme et qu'on pose un regard différent sur eux que celui de la peur et de la pitié. Et je ne peux poser qu'un seul regard sur ce pays magnifique et ces gens lumineux, celui du respect.» 

Une retombée de ces visites: sa série Aurélie Laflamme sera au programme des lectures obligatoires de plusieurs écoles de Port-au-Prince.

C'est d'ailleurs ce fort lien avec l'écriture qui a surpris Laure Morali. «On les sent habités par la poésie, il y a ici un côté sacré de l'écriture, et il y a des talents incroyables partout. Il y avait une grande qualité dans les questions, j'ai entendu les plus belles déclarations depuis longtemps.» De son côté, le poète André Roy, vice-président de l'UNEQ, a surtout retenu la grande volonté des Haïtiens à se prendre en main. «Il n'attendent pas, ils font les choses. Ils pensent que les arts et la littérature sont le moyen le plus court pour le développement des peuples. Pour moi, c'est une leçon d'espoir. J'ai l'impression que je vais revenir au Québec changé.»

Irrésistible Joséphine Bacon

Une autre vedette de l'événement aura été la poétesse innue Joséphine Bacon. C'est qu'il y a dans l'histoire haïtienne un rapport sensible aux premiers habitants de l'île, les peuples autochtones Taïnos et Arawaks, qui ont été complètement décimés par l'arrivée des Européens aux Xve siècle.

C'est d'ailleurs en raison de leur disparition qu'on a eu recours à la traite négrière, dans une exploitation cruelle et sauvage, qui mènera à la révolution et la première République noire de l'histoire. «Ce qui m'a vraiment marquée, c'est la gentillesse et l'hospitalité des gens, dit-elle. Le sourire aussi. Ils ont le sourire facile. Et à Port-au-Prince, malgré tous les à-côtés, il y a de la verdure et des fleurs. C'est comme un rêve accompli. Tu arrives ici avec toute ton humilité et tu repars grandi.»

Le but de l'événement était de faire mieux connaître la littérature québécoise en Haïti, pratiquement inexistante sur le territoire. Foire du livre, conférences, lectures publiques, visite dans les écoles, journée des professionnels, les participants n'ont pas chômé. Et vécu des moments mémorables.

La conférence «Être féministe aujourd'hui», où ont parlé Yanick Lahens, Rachel Bédard, Catherine Voyer-Léger, Marie-Alice Théard, Marie Hélène Poitras, Louise Dupré et Danielle Magloire, présentée devant des auditeurs essentiellement masculins, aura été mouvementée, quand certains d'entre eux se sont plains de l'exclusion des hommes sur le panel...

Bertrand Gervais s'est retrouvé malgré lui au coeur d'un débat sur le créole et le français, étonné, en tant que Québécois, d'être accusé de parler la langue du colonisateur! C'est qu'on est chaudement politisé en Haïti. Le philosophe Alain Deneault (auteur de Noir Canada et Paradis sous terre) a pu le constater en discutant de l'exploitation minière en Haïti avec des députés d'opposition - on va assurément le réinviter.

Une constante dans les réponses des participants: tous veulent revenir en Haïti. D'autant plus qu'il existe plusieurs résidences d'écriture au pays, notamment à Port-Salut et au Pen Club de Port-au-Prince, dans les hautes montagnes de Thomassin. La suite au Salon du livre de Montréal cet automne, puisque le ministre québécois de la Culture, Maka Kotto a annoncé cette semaine que Haïti y sera l'invité d'honneur.