Vous vous demandez peut-être ce que je fais ici. C'est simple. La Presse m'a proposé d'écrire sur mes lectures. Il se trouve que la vie d'humoriste en tournée en est une qui se marie plutôt bien avec celle du livre. Longues heures à l'hôtel et sur la route... Je fais partie de ceux capables de lire en voiture... Et je ridiculise ici publiquement ceux qui en sont incapables. Ça donne mal au coeur? Vraiment? De l'encre inodore immobile sur du papier blanc, un siège chauffant avec support lombaire. En effet, quel périlleux sport extrême...

Cette semaine, j'ai lu Némésis de Philip Roth.

L'auteur de 80 ans a annoncé qu'il s'agissait de son dernier roman. Ce n'est qu'une impression, mais il me semble plutôt rarret (ça veut dire un peu rare, c'est mon invention!) qu'un écrivain annonce sa retraite. J'y vois une certaine élégance et une forme de mise en scène, comme si l'auteur écrivait aussi la fin de son parcours. J'aimerais bien, quand le temps sera venu, faire preuve du même discernement. Si un jour je vous présente mes plus grands succès-souvenirs dans un spectacle qui s'appelle «Louis-José Houde, mes calembours, the musical», j'aurai joyeusement transgressé la loi du «leave 'em wanting more» et je m'en excuse à l'avance.

Comme lecteur, même si je lis beaucoup de romans québécois, j'apprécie à l'occasion un récit qui se situe loin de mon environnement et de mon époque. Némésis est l'histoire d'un lanceur de javelot juif du New Jersey en pleine épidémie de polio en 1944. Parfait, je pense que j'étais rendu à la page 12 au moment de payer le livre.

Bucky Cantor est aussi professeur d'éducation physique et s'occupe d'un terrain de jeux de Newark que fréquente un groupe de jeunes garçons. Il ne s'agit pas d'une histoire à multiples revirements. C'est lent. Ça prend son temps et ça décrit beaucoup. Personnellement, n'adhérant aucunement à mon époque, étant sans iPhone, allergique à la culture de l'immédiat et incapable de faire deux choses en même temps, je me réjouis toujours d'un auteur qui, pendant deux paragraphes, me décrit une pêche.

M. Cantor est un être et un enseignant exemplaire et mène une existence empreinte d'honnêteté, de sens des responsabilités et de travail bien fait. Pourtant sa vie lui échappe, son destin bascule complètement et il finit par passer à côté de sa vie, allant même jusqu'à remettre en question l'existence d'un dieu, ce qui en 1944 semblait être plus ou moins dans les tendances du moment...

Par la polio, l'histoire soulève le côté sombre du hasard et une forme d'impuissance face à notre destin. C'est une belle réflexion sur la vie et j'avoue que j'aime bien quand un livre finit un peu mal.

On découvre aussi vers la fin que le narrateur, jusque-là complètement anonyme, faisait en fait partie de l'histoire. Il est intéressant de pouvoir finalement mettre un visage sur la voix qui nous guide tout au long de la lecture. Vous vous rappelez quand Kiss s'était montré sans maquillage pour la première fois en 1983? Moi non plus et c'est la comparaison la plus vaseuse de ma vie, mais vous comprenez l'idée.

Ma seule déception: le livre puait vraiment. Au sens propre, d'ailleurs il est rarret et ironique de puer «au sens propre» (à ajouter dans «mes calembours, the musical»). OK, c'est bizarre, mais j'aime beaucoup l'odeur du papier neuf et Némésis sentait vraiment quelque chose de grave. Il faudrait dire à Gallimard de changer leur parfum de presse parce que tous ces gens qui disent avoir mal au coeur en lisant en voiture pour en fait se déculpabiliser de jouer au game boy vont peut-être, pour une fois, avoir mal au coeur pour vrai...