Camus et Le Clézio en marathi, Daniel Pennac en bengali: la France tente d'entrer sur le complexe marché indien de l'édition, qui publie en plus de vingt langues, en proposant auteurs classiques et fictions contemporaines en résonance avec ce pays en pleine mutation.

Le salon international du livre à New Delhi a mis cette année la France à l'honneur, prélude à une visite du président François Hollande, et une poignée d'éditeurs ont saisi cette rare aubaine pour venir tester un marché encore inexploré.

La priorité des éditeurs indiens consistant à traduire d'abord leurs auteurs en une ou plusieurs des 22 langues reconnues, le défi est d'envergure: convaincre de l'intérêt de traduire un auteur français en langues indiennes, ou en anglais pour le marché du sous-continent - voire pour le monde entier si les droits n'ont pas encore été acquis dans la langue de Shakespeare.

«Un éditeur indien voudra d'abord savoir si nous avons des romans qui ont un rapport avec son pays, soit dans l'histoire soit par le biais d'un personnage», détaille Stephanie Drews, responsable des cessions de droits chez Stock, venue pour la première fois cette année au salon du livre.

«Il veut ensuite savoir si nous avons des auteurs qui ont remporté des prix ou ceux qui vendent le mieux en France. Ce sont des critères commerciaux mais c'est normal: ils commencent prudemment sur un marché où ils n'ont aucun repère et veulent d'abord des «valeurs sûres»», dit-elle.

Le roman de Kenizé Mourad, Dans la ville d'or et d'argent (Robert Laffont) vient d'être publié en anglais: l'histoire d'une Bégum pendant la «révolte des cipayes» en Inde au 19e siècle a séduit l'éditeur, Full Circle.

Active depuis plusieurs années sur le marché, Anne-Solange Noble, directrice des droits étrangers chez Gallimard, a réussi, elle, à céder l'an dernier les droits de 18 titres, en anglais et langues indiennes, dont Journal d'un corps de Daniel Pennac à paraître en bengali fin 2013.

Mais pour Judith Oriol, attachée pour le Livre et l'Écrit à l'Institut culturel français à Delhi, il faut d'abord proposer des classiques, comme Camus, Céline, Sartre, avant de proposer la traduction d'auteurs plus «alternatifs».

«Pour moi, Modiano est le meilleur auteur français contemporain mais il ne marchera jamais en Inde. Il est très difficile à traduire, c'est comme une musique, et son oeuvre fait référence à l'après-Deuxième Guerre mondiale, très peu connue en Inde», fait-elle valoir.

Les éditeurs indiens s'intéressent en revanche beaucoup aux auteurs  d'origine maghrébine car «les lecteurs veulent savoir, à travers la fiction, comment des musulmans se sont intégrés en France», selon Mme Oriol.

Des auteurs tels que Tahar Ben Jelloun et Boualem Sansal ont ainsi déjà été traduits en anglais ou en langues indiennes. Atiq Rahimi (Prix Goncourt 2008) a aussi séduit pour ses récits sur l'Afghanistan, un pays que l'Inde suit de près.

Renuka George, qui a traduit en anglais Le cahier d'Aziz de Chowra Makaremi (Gallimard), un récit au coeur de la révolution iranienne, souligne l'importance d'avoir accès à des points de vue différents.

«La littérature française offre une autre vision du monde et il faut essayer de garder dans la traduction les images poétiques qui appartiennent à des cultures différentes. C'est très important de permettre cette ouverture», souligne-t-elle auprès de l'AFP.

La présence d'auteurs sur les listes de bestsellers à l'étranger ouvre aussi des opportunités parfois insoupçonnées. Resté 35 semaines sur la liste des best-sellers aux États-Unis, L'élégance du hérisson de Muriel Barbery a obtenu une traduction en hindi.

Michel Houellebecq et Amélie Nothomb ont bénéficié du même phénomène. Mais le tirage reste modeste.

Si Jean-Marie Le Clézio, lauréat du prix Nobel en 2008, a été traduit en 10 000 exemplaires en maharati (langue officielle du Maharashtra), les premiers contrats oscillent entre... 500 et 1000 exemplaires.

Seules les traductions en malayalam, langue du Kerala où les habitants lisent plus qu'ailleurs, débutent à entre 3000 et 5000 exemplaires. En anglais, le tirage commence à 3000 exemplaires.

Alors qu'il y a encore 20 ans, 80% de la production éditoriale indienne était destinée aux écoles et bibliothèques, l'émergence d'une classe moyenne a permis l'essor récent de l'édition pour la littérature générale, la littérature jeunesse et les livres pratiques.

En dépit de chiffres sur le secteur, on estime que le marché de l'édition en Inde représente un chiffre d'affaires annuel d'environ 1,8 milliard d'euros.

Selon le directeur du Bureau international de l'édition française, Jean-Guy Boin, l'intérêt s'est accru pour la littérature étrangère grâce au rajeunissement des maisons d'édition. «Il y a une nouvelle génération d'éditeurs qui a voyagé à l'étranger et est plus ouverte qu'avant», dit-il à l'AFP.

«Mais il y a encore de gros problèmes de distribution et de logistique en Inde. Il est plus difficile qu'ailleurs de faire parvenir le livre au lecteur», déplore-t-il.