Un mois et demi après avoir discrètement annoncé qu'il n'écrirait plus, l'écrivain Philip Roth se réjouit d'être désormais «libre», apparemment soulagé d'une décision qui a mis un terme à la carrière d'un des auteurs américains vivants les plus adulés.

Après 53 ans d'une carrière qui l'a rendu célèbre dans le monde entier, il ne se sentait plus, a-t-il confié, l'énergie de gérer la frustration qui accompagne la création littéraire.

«Je n'ai plus l'énergie pour supporter la frustration. Écrire est une frustration quotidienne, et je ne parle pas de l'humiliation», a-t-il expliqué au New York Times, dans ce qu'il a présenté comme sa dernière interview.

«Je ne peux plus passer des jours à écrire cinq pages, que je jette ensuite», a-t-il ajouté.

L'an dernier, l'éternel pressenti au Nobel de littérature, qui aura 80 ans en mars, avait pourtant affirmé qu'il ne se voyait pas arrêter d'écrire. «Écrire me tient à distance de la dépression», avait-il expliqué dans un rare entretien télévisé.

Mais début octobre, il annonce à l'hebdomadaire français Les Inrocks qu'il n'a plus envie d'écrire. «Pour tout vous avouer, j'en ai fini», ajoute-t-il, soulignant qu'après avoir enchaîné les livres - 31 en 53 ans - il n'a plus rien écrit depuis trois ans.

Au New York Times, qu'il a reçu, détendu, pendant trois heures dans son appartement du quartier cossu d'Upper West Side à New York, l'auteur de La pastorale américaine (prix Pulitzer 1998), de Goodbye Columbus (1959), de Portnoy et son complexe (1969) et du Complot contre l'Amérique (2005), a expliqué que c'était une décision lentement mûrie, prise en 2010 après la publication de Nemesis.

«Mais je n'ai rien dit parce que je voulais être sûr que c'était vrai».

Sur son ordinateur, un post-it affirme désormais :«La lutte pour écrire est terminée», raconte le quotidien.

«Je le regarde tous les matins et cela me donne une force incroyable», a confié Roth dans son interview publiée dimanche.

Apprendre à se servir d'un iPhone

L'écrivain a récemment acheté un iPhone et apprend à s'en servir.

«Pourquoi? Parce que je suis libre», a-t-il expliqué, ajoutant qu'il n'avait rien lu depuis deux mois. Du moins dans la journée. «Le soir je lis pendant deux heures. De l'histoire du 20e siècle et des biographies».

Rares sont les écrivains qui s'arrêtent volontairement, et sa décision a créé une énorme surprise dans les milieux littéraires.

Mais après une vie entièrement consacrée à l'écriture, qui lui a encore valu cette année le prix espagnol Prince des Asturies de littérature, Roth avait le sentiment d'avoir écrit ce qu'il devait.

«Pendant un mois ou deux, j'ai essayé de penser à quelque chose d'autre, et je pensais «peut-être que c'est fini, peut-être que c'est fini»». «Je me suis donné une dose de jus romanesque, en relisant des auteurs que je n'avais pas lus en 50 ans et qui avaient été importants pour moi, a-t-il expliqué, mentionnant notamment Dostoïevski, Conrad, Tourgueniev, Faulkner et Hemingway.

«Et j'ai ensuite décidé de relire mes livres» en commençant par le dernier. Mais l'écrivain s'en désintéresse lorsqu'il arrive à Porntoy et son complexe.

Après avoir lu tout ça, «je savais que je n'allais pas avoir une autre bonne idée, ou que si j'en avais une, je devrais m'échiner dessus», a-t-il expliqué.

À 79 ans, lui qui n'avait jamais ralenti le rythme, se réjouit d'avoir désormais plus de temps pour recevoir, notamment dans sa maison du Connecticut où il a passé tellement de jours solitaires à peaufiner son oeuvre, écrivant souvent debout.

Mais après 52 ans à écrire comme d'autres respirent, l'écriture n'a pas complètement quitté la vie de ce petit-fils d'immigrés juifs originaires de Galicie.

Philip Roth, travaille désormais pour son biographe, Blake Bailey, recruté en juin. Il a déjà rempli pour lui des boîtes de notes et mémos, et Bailey pense qu'il lui faudra des années pour en venir à bout.