La Rwandaise Scholastique Mukasonga, hantée par le spectre du génocide de 1994 où périt sa famille, a reçu mercredi un Renaudot surprise pour son implacable Notre-Dame du Nil (Gallimard), devenant le cinquième auteur africain lauréat de ce prestigieux prix littéraire français.

La romancière d'expression française figurait dans la sélection de printemps du Renaudot mais avait été écartée par la suite. Elle a obtenu six voix au 10e tour de scrutin.

Elle a déjà reçu cette année pour Notre-Dame du Nil le Prix Ahmadou Kourouma, du nom du célèbre écrivain ivoirien décédé en 2003, décerné dans le cadre du salon du livre de Genève.

Née en 1956, Scholastique Mukasonga connaît dès l'enfance les persécutions et les humiliations des conflits ethniques qui agitent son pays. Sa famille tutsi est déplacée dans une région insalubre. En 1973, elle s'exile au Burundi puis en France en 1992, deux ans avant le début des massacres qui ont ensanglanté son pays.

Près de 30 membres de sa famille, dont sa mère, ont été assassinés en 1994.

L'auteure a créé une association d'aide aux orphelins après le génocide des Tutsis. Retournée au Rwanda en 2004, elle vit aujourd'hui en Normandie, dans l'ouest de la France, où elle est assistante sociale.

«Scholastique a cru à une blague quand je lui ai annoncé la nouvelle au téléphone», raconte à l'AFP son éditeur Antoine Gallimard, précisant que son livre avait été vendu jusqu'ici à 4000 exemplaires.

Sorti en avril, le roman a pour cadre un lycée rwandais de jeunes filles de bonne famille, Notre-Dame du Nil, perché sur une crête escarpée, loin des tentations de la capitale, près des sources du grand fleuve égyptien.

En quête du paradis perdu, mais aux portes de l'enfer, l'auteure a choisi ce microcosme pour revisiter les prémices de la tragédie rwandaise.

Huis clos

Les lycéennes sont vite encerclées par les nervis du pouvoir hutu et la romancière décrit le poison distillé peu à peu dans les esprits de ces filles de militaires, de diplomates ou d'hommes d'affaires. Seules 10% des élèves sont tutsis, quotas obligent.

Elle dénonce aussi, dans ce huis clos à l'écriture lumineuse, l'impassibilité des religieux belges et professeurs français.

La romancière a elle-même fréquenté dans sa jeunesse une institution religieuse. Elle est l'une des seules de sa famille à avoir fait des études.

Scholastique Mukasonga est le cinquième écrivain originaire du continent noir à recevoir le Renaudot après Yambo Ouologuem (Mali) pour Le devoir de violence en 1968, Ahmadou Kourouma (Côte d'Ivoire) pour Allah n'est pas obligé en 2000, Alain Mabanckou (franco-congolais) pour Mémoires de porc-épic en 2006 et Tierno Monénembo (Guinée) pour Le roi de Kahel en 2008.

Le sacre de Notre-Dame du Nil n'était pas prémédité: «rien n'était préparé», a assuré Franz-Olivier Giesbert, l'un des jurés du Renaudot.

«On tournait en rond. Il n'y a jamais eu un tel blocage et puis, soudain, emballement général» pour ce livre.

En fait, c'est un autre juré, le Nobel de littérature J. M. G Le Clézio, qui a lâché son nom, raconte Giesbert.

«Le Clézio est attentif à ce qui vient d'ailleurs», a ajouté le président du jury Georges-Olivier Châteaureynaud selon qui ce roman contraste avec «une littérature trop hexagonale».

En 2006, Scholastique Mukasonga écrit un premier récit autobiographique, Inyenci ou les Cafards, puis en 2008 La femme aux pieds nus, un hommage à sa mère.