Le jury du prix Médicis a surpris par son audace mardi en choisissant comme lauréate une jeune femme de 43 ans auteure de poésie, Emmanuelle Pireyre, et sa Féérie générale (Éditions de l'Olivier).

Dans la catégorie étranger, il a par contre couronné une figure de la littérature israélienne, Avraham B. Yehoshua, avec Rétrospective (Grasset).

Emmanuelle Pireyre, choisie dès le premier tour avec neuf voix sur dix, a notamment été préférée à Philippe Djian et Patrick Deville.

Depuis le restaurant la Méditerranée, près du théâtre de l'Odéon, où s'était réuni le Médicis présidé par Dominique Fernandez, la lauréate s'est dite «ravie» et «très très contente».

Comme le Femina lundi, l'éditeur récompensé avait proclamé le résultat près de quinze minutes avant l'annonce officielle.

Vision plus féérique du monde

«Très content» d'être revenu dans le giron du prix littéraire, l'ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a expliqué à l'agence Sipa que ces deux ouvrages vont dans «le sens du Médicis c'est-à-dire l'idée de la découverte, quelque chose qu'on ne connaît pas très bien».

«Le livre d'Emmanuelle Pireyre est tellement amusant et drôle et intelligent, d'une liberté totale», alors que «le livre de Yehoshua est un livre plus classique qui rend hommage à un grand maître de la littérature que l'on n'a sans doute pas suffisamment reconnu encore en France», a-t-il noté.

Quant au Médicis Essai, il est allé à Congo, une histoire du Flamand David Van Reybrouck (Actes Sud), un livre «extraordinaire d'érudition et en même temps de romanesque» sur l'histoire du pays meurtri par les conflits et la colonisation belge.

Dans son livre, Emmanuelle Pyreire «a voulu, comme l'indique le titre Féérie générale «donner une version plus féérique du monde et de l'époque dans laquelle on est».

«L'idée que j'ai du monde est plutôt d'habitude une foire internationale», ce qu'elle a tenté «de transformer en féérie» en s'appuyant sur des histoires glanées dans les journaux, des événements du quotidien dont elle a été témoin ou actrice, transposées sous plusieurs registres d'écriture.

«Cela a été assez long, cela m'a demandé beaucoup de travail d'écriture, d'invention de personnages, d'histoires», a expliqué cette auteure venue de la poésie.

«La poésie pour moi c'est le travail du langage, de la langue», si «importante dans notre société d'information et de communication» et «la transformer en poésie, cela permet aussi de transformer la manière dont on voit les choses».

«J'ai intégré des éléments prosaïques du monde, dans cette structure d'écriture, cela devient plus lisible par un plus grand nombre de lecteurs», a conclu la romancière, tout sourire aux côtés d'un monument de la littérature israélienne, Avraham B. Yehoshua.

Un plaisir dans la vieillesse

«C'est un grand plaisir dans ma vieillesse» de recevoir ce prix, a plaisanté en français l'auteur israélien.

«À l'âge que j'ai, 76 ans, j'ai décidé de faire un livre sur la création artistique mais pas sur un écrivain».

Dans Rétrospective, l'auteur dit avoir voulu diviser toute la force de la création entre quatre personnages, et d'aller vers le cinéma.

Inspiré par un tableau vu à Saint-Jacques de Compostelle, l'écrivain retrace la vie d'un réalisateur israélien, âgé de soixante-dix ans, qui arrive dans cette ville pour assister à une rétrospective de ses premiers films. Il est accompagné d'une actrice de douze ans plus jeune que lui, une relation dont la nature apparaît au fil des pages.

Succédant à son compatriote David Grossman avec «Une femme fuyant l'annonce» (Seuil), Yehoshua, fervent militant de la paix avec les Palestiniens, a ironisé sur la vitalité de la culture israélienne, osant un parallèle entre la création en Europe entre les deux guerres et l'Amérique latine sous la dictature: «quand il y a une bonne littérature, une bonne culture, c'est un mauvais signe pour la société!».