Olivia Tapiero a 22 ans, terminera en décembre son bac en études françaises à McGill et publie cet automne son deuxième roman. Récompensée par le prix Robert-Cliche du premier roman en 2009 pour Les murs, la jeune surdouée revient avec Espaces, récit lancinant de la dérive d'une étudiante hantée par le suicide de sa colocataire.

Le suicide était au coeur de son premier roman, mais c'est surtout la mort qui intéresse Olivia Tapiero. «C'est pour ça que c'est une inconnue qui meurt au début, qu'elle n'a même pas de nom. Ce deuil anonyme est un bon point de départ pour questionner les raisons fondamentales, les sens que les gens se donnent dans leur vie.»

Pour Lola, son personnage, une longue errance commence, puisque «tout devient absurde»: les cours auxquels elle n'assiste presque plus, les gens qu'elle côtoie. «Dans mon premier livre, mon personnage refusait l'aide qu'on lui offrait. Cette fois, elle laisse les gens entrer dans son monde, mais elle refuse d'entrer dans le leur. Elle a perdu foi dans la nécessité de communiquer.»

Pour l'auteure, Lola n'est qu'un spectre, une ombre de personnage, antihéroïne qu'elle-même avait envie de brasser un peu. «Je la trouvais agaçante en fait, elle a un côté un peu irritant. C'est normal qu'il y ait certaines longueurs, c'est pour provoquer ça, sinon on aurait moins senti l'errance et le côté cyclique. Mon objectif n'était pas du tout qu'on ressente de la compassion pour elle.»

Ébranler

La mort comme finalité, ce qu'on fait avec notre vie une fois qu'on décide de continuer, Olivia Tapiero n'a pas choisi ces thèmes, qui se présentent à elle et qu'elle suit d'instinct, sensible à la brièveté de notre passage ici-bas. «On va tous moisir sous terre. C'est inévitable et tellement évité, car on est très pudiques face à la mort. C'est peut-être naïf, mais j'ai la croyance profonde que si on avait un rapport plus explicite et sain avec elle, on vivrait dans une société plus saine.»

Elle, en tout cas, a choisi de ne pas se cacher la tête dans le sable. Elle s'avoue peut-être un peu maso d'aller «là où ça fait mal», mais nous rassure: elle va très bien. «Je suis joyeuse dans la vie, je rigole. Peut-être que je le serais moins si je n'écrivais pas ces livres.»

La solitude - désirée ou non - des personnages et l'incommunicabilité entre les êtres font qu'Espaces n'est pas très hop-la-vie. «Tous les discours qui nous entourent nous poussent à être hop-la-vie. Le devoir d'un livre est d'ébranler.» De toute façon, Olivia Tapiero n'a pas voulu faire un portrait de société, encore moins de sa génération.

«Il y a tout un courant communautariste en réaction à l'abstraction de ce qui nous gouverne, les guerres, la Bourse, on l'a vu au printemps dernier, et c'était magnifique. Mon personnage voit plutôt la vie en société comme un grand ballet où les gens ne se rejoignent pas, et avec elle je suis allée du côté de l'atomisation des individus, qui existe depuis des décennies. Et qui est en voie d'extinction, j'espère.»

Olivia Tapiero est bien consciente d'être, pour l'instant, un peu en retrait de son époque, moins contemporaine dans la forme et dans le fond. Elle sait qu'elle ne signe pas de romans «engagés», mais ne sait pas si elle a raison. «Pour l'instant, à défaut de l'être dans mon écriture, je le suis comme citoyenne. Mais peut-être qu'on vit dans une époque qui demande, justement, une littérature plus engagée. La question reste ouverte: engagée comment, et par rapport à quoi? Pour l'instant, mon engagement, il est contre la mort.»

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Espaces. Olivia Tapiero. XYZ, 129 pages.

Extrait d'Espaces

«Lola, tu as compris peut-être trop tôt l'instabilité fondamentale de toutes les choses humaines, regarde ces gens dans la rue, de l'autre côté de la fenêtre, tout pourrait se briser en un instant; vois comme la vie et la mort se côtoient, il faut que tu sentes que tout est possible, que c'est à la fois terrible et merveilleux.»

Espaces, page 53