La crise étudiante et sociale du printemps dernier n'a pas fini d'inspirer les écrivains. Deux ouvrages parus cet automne montrent qu'on peut l'aborder de différentes manières. D'un côté, l'essayiste Nicolas Lévesque lui donne une perspective historique et psychanalytique dans Le Québec vers l'âge adulte; de l'autre, la maison d'édition Héliotrope propose l'angle de la fiction pour nous en offrir un portrait vibrant dans le recueil Printemps spécial.

Le Québec vers l'âge adulte : une crise qui vient de loin

En changeant le titre de son essai Teen Spirit. Essai sur notre époque pour Le Québec vers l'âge adulte, Nicolas Lévesque savait qu'il «s'engageait dans quelque chose». Mais pendant la grève étudiante du printemps dernier, il n'a pu s'empêcher de penser que son livre paru en 2009 visait juste, et que cette analyse générationnelle du Québec pourrait donner un éclairage différent à cette crise sociale.

Il aurait pu décider d'écrire «un pamphlet de 50 pages», mais il a préféré faire prendre de la maturité à son livre en le brassant un peu et en y ajoutant des éléments d'actualité. «Je voulais montrer que ce qui est arrivé était déjà en mouvement, que la remise en question du modèle d'autorité était déjà en marche.» Le rejet de l'attitude paternaliste de Jean Charest en est la preuve, estime-t-il. «Ça ne passe plus. Mais maintenant qu'on sait ce qu'on ne veut plus, il faut inventer un nouveau type d'autorité.»

Dans Teen Spirit, Nicolas Lévesque estimait que la phase adolescente du Québec, amorcée aux environs de la Révolution tranquille, était sur le point de se terminer. Il juge que les événements du printemps nous ont effectivement fait faire un pas de plus vers l'âge adulte. «Nous étions devenus comme des ados attardés. Être adulte, ça ne signifie pas nécessairement se caser et arrêter de rêver. Au contraire, ça veut dire prendre ses responsabilités. Ça peut être nettement plus satisfaisant.»

Le mouvement est irréversible, croit-il, et témoigne même de l'échec du système capitaliste. «La crise du printemps nous a montré que nous sommes devant un mur. Il est plus épais qu'on pensait, mais il commence à se fissurer. La génération Y n'est pas la première à s'y attaquer, mais elle profite d'un moment favorable de l'histoire, ce que les X n'ont pas eu.»

Nicolas Lévesque estime que le rôle de l'essayiste est non pas de se joindre au concert prévisible des voix, mais plutôt de le déjouer. Elle est là, son implication, dans ce «pavé dans la mare» qui, il l'espère, aidera à abattre les cloisons entre «les trois ou quatre Québec» qu'on a vus se distinguer lors des élections du 4 septembre. Le printemps érable n'était-il alors qu'un feu de paille? «Non, répond l'écrivain, qui est aussi psychologue. Mais c'est difficile de changer des patterns, on le voit au niveau individuel.»

Les artistes et les intellectuels doivent donc naviguer entre les gens et les classes sociales, et servir de passeurs plutôt que d'éléments de division. «C'est le prochain enjeu: quelle autorité va rassembler le Québec autour d'un objectif commun? Parce que pendant que le 450 et le 514 perdent du temps à se haïr, il y a quelqu'un qui fait de l'argent avec ça. Il faut comprendre qu'on est tous au pied d'un mur commun.»

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Le Québec vers l'âge adulte. Nicolas Lévesque. Éditions Nota Bene, 172 pages.

Extrait de Le Québec vers l'âge adulte

Par-delà le constat superficiel de l'échec, l'éclatement des structures de la société révèle moins sa faillite qu'une période d'exploration qui précède la construction de nouveaux fondements. Être optimiste, sans être naïf, semble même l'attitude la plus révolutionnaire - le pessimisme n'est-il pas devenu le nouveau conformisme?

Printemps spécial : sur le vif

En lançant le recueil Printemps spécial, espèce d'instantané de l'état d'esprit qui régnait au Québec pendant ces mois bouillants du printemps 2012, la maison d'édition Héliotrope n'a pas la prétention de faire de la littérature engagée. «C'est plutôt la littérature qui nous engage, répond la directrice littéraire, Olga Duhamel. Il se passait quelque chose d'exceptionnel et nous voulions tenter de raconter comment ça traversait notre réalité, bien humblement. Les événements nous ont enrôlés de force.»

Douze auteurs de la maison ont écrit, à chaud, presque dans le feu de l'action, de courts textes qui vont de l'allégorie pure - la femme ligotée d'Olga Duhamel - à une chronique plus personnelle - Martine Delvaux, Gabriel Anctil -, en passant par l'humour, bienvenue dans ce concert de nobles sentiments - Simon Paquet, dont le personnage malchanceux tente de se joindre à une manif insaisissable.

Printemps spécial offre aussi des visions de l'intérieur (la course effrénée de Grégory Lemay fuyant l'antiémeute), ou alors légèrement décalées (Patrice Lessard qui disserte sur une terrasse parisienne). «Chacun amène son univers fictionnel dans un événement que tout le monde connaît. On voulait savoir comment la littérature pouvait le dire autrement», explique Olga Duhamel. Un choix qui se répercute aussi dans les photos de Toma Iczkovits, dont le traitement noir et blanc avec des taches de rouge «ne sont plus tout à fait documentaires».

Au lendemain des élections, Printemps spécial est déjà presque démodé tellement l'effervescence est retombée, et on se demande s'il n'aurait pas fallu un peu de recul avant d'écrire de la fiction sur le sujet. Olga Duhamel en convient: les textes auraient été très différents s'ils avaient été écrits après le 4 septembre. «C'est un risque qu'on voulait prendre», ajoute-t-elle.

«Dans le brouhaha des voix qui se sont élevées pendant les événements, je crois que ça valait la peine d'amener un point de vue qui ne fait pas partie de la rumeur», estime pour sa part Catherine Mavrikakis, qui a participé au livre. Mais en littérature, elle préfère de loin le flou à l'engagement. «Moi en tout cas, j'ai voulu apporter un éclairage qui n'est pas blanc ou noir comme dans l'espace public, mais plus dans le clair-obscur.»

Cependant, l'auteure des Derniers jours de Smokey Nelson estime que c'était un beau projet que de témoigner sans attendre. «De toute façon, la fiction donne nécessairement du recul.»

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Printemps spécial. Collectif. Héliotrope, 113 pages.

Extrait À la casserole, de Catherine Mavrikakis, dans Printemps spécial

Catherine venait de donner encore un coup retentissant sur sa casserole quand elle l'aperçut de loin, là, assis au bord du trottoir, les jambes dans le caniveau. C'était le troisième soir qu'elle le voyait. Même si elle se trouvait au beau milieu de ses collègues enthousiastes, bien lovée dans la foule, elle éprouvait un malaise à chaque fois qu'elle distinguait sa silhouette qu'elle découvrait encore familière, malgré tout le temps qui s'était écoulé.