Paul Léautaud (1872-1956) appartient depuis longtemps à un circuit fermé de fans avides de son style vif et acerbe, qu'on savoure dans son immense Journal littéraire (12 000 pages!), qui nous offre à la fois un vaste portrait du monde des lettres parisien du début du siècle et la radiographie d'un esprit unique. Cette année, le Festival international de la littérature (FIL) lui consacre un événement dont le point d'orgue sera la lecture du texte In Memoriam par Emmanuel Schwartz.

Les célèbres entretiens de Robert Mallet avec Paul Léautaud ont fixé dans les mémoires l'image du vieux misanthrope, tendre avec les animaux et sans pitié pour les hommes, lecteur exigeant, témoin de son temps. Ainsi, le comédien Emmanuel Schwartz pourrait sembler bien jeune pour lire Léautaud si on ne savait pas qu'il a pratiquement le même âge que l'écrivain lorsqu'il a écrit le texte In Memoriam, un récit sans pathos de la mort de son père.

Schwartz ne connaissait pas Léautaud avant que Pierre Jutras ne lui propose ce projet de spectacle pour le FIL. Jutras, nous apprend le comédien, a fait partie dans les années 60 d'un petit groupe de lecteurs québécois passionnés de Léautaud. Mais pour les besoins de la scène, il a jeté son dévolu sur In Memoriam plutôt que sur des extraits choisis du journal. «C'est l'un des rares textes qui est circonscrit, explique Schwartz, avec un début, un milieu et une fin, et d'une durée raisonnable, sur un thème précis.»

Bref, c'est une découverte pour le jeune comédien fétiche de Wajdi Mouawad, qu'on a vu récemment dans le film Laurentie. «Au tout premier abord, je trouvais le personnage un peu prétentieux, dit il. Il parle de la mort et de la vie avec grand cynisme. Chaque fois que se pointe un peu d'émotion, il y a des digressions sur l'acte d'écrire, il se diminue en tant qu'auteur, dit qu'il ne vas quand même pas verser là-dedans... Ça m'est apparu comme une description assez clinique et froide de la mort de son père et de ses souvenirs d'enfance. C'était assez confrontant comme première lecture.»

C'est qu'il ne l'a pas eu facile, l'enfance, le Léautaud, qui aura toujours souffert de l'abandon de sa mère. Il deviendra en revanche un véritable maniaque des animaux, entretenant avec son maigre salaire une incroyable ménagerie de chats, de chiens, même une guenon - Les Cahiers Rouges ont publié un «Bestiaire» sur cette intense relation avec les bêtes il y a quelques années. «C'est absolument fabuleux, je trouve, qu'en plus il ait laissé tous les droits de ses écrits à la Société française de protection des animaux, ajoute Schwartz. D'ailleurs, les quelques passages où il parle des chiens dans «In Memoriam» sont les plus tendres. Il faut croire qu'il trouvait un certain réconfort auprès des animaux qu'il ne trouvait pas chez les autres.»

Léautaud, pour tout dire, est un cas fascinant de la littérature française (et un régal pour les potineurs), qui appartient à cette étrange race d'hommes «nés vieux», un coquet qui entretenait son look négligé , tout en étant un érotomane fini (ce que révèle le «Journal particulier»)... «Il avait 31 ans lorsqu'il a écrit In Memoriam, mais dans l'écriture, on sent déjà une vieillesse, comme s'il avait déjà un peu abdiqué sur sa vie. On pressent cet Alceste qu'il va devenir. Sur les photos, on voit presque un personnage de Molière, avec sa toge, ce chapeau étrange, un stéréotype de misanthrope.»

Schwartz n'a pas voulu écouter les entretiens de Robert Mallet avant cette lecture, afin de ne pas être influencé par le personnage, et d'éviter de le «singer» sur scène. Il n'y avait pas mille façons de mettre en lecture ce texte. «Le parti prix est d'en donner une lecture sans interprétation, dans la plus pure forme de la lecture française, sans effets scéniques, juste entendre les mots avec les bonnes intonations.» N'empêche, après cette expérience, Emmanuel Schwartz, qui travaille présentement à l'adaptation de ses pièces avec Xavier Dolan, compte bien explorer davantage l'oeuvre de Léautaud.  «Parce que «In Memoriam», c'est comme se mettre un petit peu l'eau à la bouche. J'aimerais bien lire quelques pages de ce journal pour savoir quel rôle il a pu jouer dans la vie des grandes hommes de lettres de son époque.»

Une seule représentation de ce spectacle aura lieu, c'est donc dire qu'il faut en profiter. Et pour poursuivre plus avant la découverte de cet écrivain inclassable, le FIL propose dès aujourd'hui plusieurs documentaires à la cinémathèque: le portrait de Léautaud pour Un siècle d'écrivains par Patrick Zeyen, le témoignage de Marie Dormoy qui a courageusement retapé toutes les pages du Journal littéraire, un documentaire sur le travail de critique de Léautaud au Mercure de France et, vendredi, les confessions d'admirateurs de l'écrivain dans Connaissez-vous Paul Léautaud.

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In Memoriam de Paul Léautaud lu par Emmanuel Schwartz, demain, 20h30, salle Claude-Jutras de la Cinémathèque québécoise. Infos: www.festival-fil.qc.ca