Les vautours de Barcelone est le sixième roman de Rober Racine, troisième volet de la trilogie Le coeur de Mattingly amorcée en 1999. «L'écriture, c'est la colonne vertébrale de ma vie», précise-t-il dès le début de l'entrevue.

Très actif dans le milieu des arts visuels depuis la fin des années 70, Rober Racine a aussi mis son amour des mots à profit dans ses oeuvres, installations et performances, que ce soit les pages trouées du dictionnaire ou sa lecture intégrale de Salammbô, de Flaubert, en montant un escalier.

«C'est vrai, mais j'ai rarement travaillé avec le sens des mots», dit-il. En arts visuels, il a surtout fonctionné par flashs, alors que chaque livre lui a demandé temps et bricolage. C'est ce qu'il aime par-dessus tout, le voyage de l'écriture. «C'est comme aller au Mexique pendant deux semaines. Tu sais que tu y vas, mais tu ne sais pas ce qui va arriver.»

Les vautours de Barcelone est né dans son esprit il y a plus de 10 ans, lorsqu'il a été subjugué par la scénographie des «beaux chéris» dans leur cage du zoo de Barcelone. «Dès que je les ai vus, je me suis dit: «Je veux écrire ça».» Des dessins sont nés pourtant, imprévus, mais témoignant aussi de son obsession.

«J'ai vécu en «vautourie»», admet Rober Racine en souriant. Mais il a su tout de suite qu'il intégrerait ces oiseaux à l'histoire de Gabriella, cantatrice greffée du coeur qui s'en va chanter une oeuvre de Claude Vivier dans la chapelle de Matisse, dans le sud de la France, et qui passe par Barcelone pour comprendre le suicide de son père. «Ce qui m'intéressait, c'était de parler du corps humain. Les vautours passent un marché avec Gabriella: ils vont lui raconter comment son père est mort, elle va leur expliquer comment on se sent quand on tue quelqu'un.»

Photo Ninon Pednault, La Presse

Rober Racine

Dix ans se sont écoulés depuis son précédent roman, L'ombre de la Terre. La maladie l'a ralenti, puis il lui aura fallu faire beaucoup de «repérage» avant de se sentir prêt à assembler toutes les pièces de son puzzle. Le bonheur a été immense lorsqu'il a enfin pu l'écrire. «J'ai écrit six romans et j'ai vécu six joies indescriptibles. Ça ne se compare à rien dans ma vie de créateur. Je n'ai ni le talent ni la constitution pour en écrire un par année, mais si Michel Tremblay vit ça à chaque roman, il doit être immensément heureux.»

Dans la «hiérarchie des métiers», Rober Racine a donc toujours placé l'écriture en haut de la liste. Pourtant, l'homme aux multiples talents a été présent sur plusieurs fronts, comme compositeur souvent, chorégraphe parfois, et surtout sur la scène des arts visuels, qu'il a animée de ses concepts fous et fascinants. «Je travaille comme un écrivain. Je conçois sur papier. Je n'ai jamais eu d'atelier.»

En fait, Rober Racine s'est donné le droit d'avoir une carrière «pluridisciplinaire». «Je ne suis pas multidisciplinaire, au contraire. Je ne crée qu'une discipline à la fois. Au fond de moi, j'ai une âme d'écrivain et j'aimerais dire que je ne suis que ça. Mais je suis venu au monde avec plusieurs passions, et je n'ai pas à m'en excuser.»

La fin de sa trilogie est pour lui la fin d'un long voyage. Il estime avoir encore trois livres en lui: un roman inspiré d'un fait divers datant de 1992, un essai sur des hommes et des passions qui l'ont animé (Satie, Flaubert, l'exploration spatiale), et «l'atlas des films de Giotto» dont on retrouve des extraits dans Les vautours, très drôles et totalement surréalistes faux résumés de faux films. On pourra voir une nouvelle expo de lui à la Galerie Roger Bellemarre bientôt, mais il n'a pas de projets précis en arts visuels.

«La littérature m'a vraiment permis de dire plus de choses. Parler de la mort, de la trahison, de l'amour, je ne sais pas comment faire ça en arts visuels. Mais dans un livre, oui.»

Les vautours de Barcelone, de Rober Racine. Boréal, 302 pages