Personnage excessif, transgressif, passionné, Michel Vézina écrit, publie, édite et sème son amour de la littérature à tout vent.

«Je me souviens de l'été où j'ai tué pour la première fois de mes mains», écrit Michel Vézina dans Attraper un dindon sauvage au lasso, son autobiographie littéraire. Sa victime s'appelait Roger. C'était un gros lapin bien en chair. Il l'a tué d'un coup de hache bien placé, nous raconte-t-il, puis dépecé, écorché, et fait cuire «sur un feu clair et brillant». «Pendant des jours, nous avons mangé les restes de Roger, et il a fallu que je médite sur mon statut de mangeur de viande: je refusais de me contenter d'être un tueur par procuration. Si je n'arrivais pas à tuer, si j'éprouvais du dédain à me mettre les mains dans les tripes et le sang, il était hors de question que je continue à manger de la viande.»

Voilà. Vous avez là tout Michel Vézina. Homme sans compromis, sans peur, prêt à abandonner un projet qui ne répond plus à ses aspirations, quitte à vivre pendant presque deux ans sans-abri, ruiné, en dormant dans son bus ou squattant les canapés de ses amis. Prêt à vivre et mourir pour ses convictions. Une espèce, avouons-le, en voie de disparition.

S'il avait 20 ans aujourd'hui («ou même 30!»), il serait sans aucun doute au front, dans le conflit étudiant, et ferait partie des casseurs. Il a d'ailleurs longtemps été lui-même un bagarreur. Il a fait les 400 coups sur les scènes underground d'ici et d'ailleurs. A été punk. Cracheur de feu. A joué les clowns auprès des Béruriers Noirs. Il a fait mille métiers, fondé un théâtre ambulant, chroniqué, blogué, été maître de cérémonie et Veejay de Dub et Litté. Il a écrit des romans (Asphalte et Vodka, La Machine à orgueil, Élise...) et créé une maison d'édition, Coups de tête, qui fête ses cinq ans.

Sa vie, Michel Vézina l'a vécue et la vit encore à toute allure, en brûlant la chandelle par les deux bouts la plupart du temps. Même un infarctus qui a bien failli le terrasser il y a trois ans n'est pas venu à bout de ses excès (ou si peu).

«Je suis quelqu'un qui assume son intensité, ses convictions, dit-il. J'ai des coups de coeur gigantesques, des coups de foudre autant pour les êtres humains que pour des oeuvres. Dans une même journée, je passe du grand bonheur au grand malheur, je tombe en amour quatre fois par semaine, je n'ai jamais voulu refuser ça. Pas de malheur, pas de bonheur, dit Richard Desjardins. Quand tu veux avoir des grandes extases, des grandes jouissances, il faut aussi que tu acceptes la douleur, le malheur, la noirceur.»

Retour sur soi

Dans Attraper un dindon sauvage au lasso, publié aux éditions Trois-Pistoles, Michel Vézina fait, à 51 ans, le bilan d'une vie trépidante et sans compromis, qu'il raconte avec un bonheur contagieux. Ses premières amours. Le cégep. Gauvreau, Rabelais, Lovecraft, mais aussi Tom Waits, le rock, les voyages... Tout y passe. En filigrane, se dessine une époque de révolte, une vie vécue à 100 à l'heure dans la marge.

«Quand Victor-Lévy Beaulieu m'a contacté pour que j'écrive ce livre, en 2007, je n'avais publié que deux romans et un recueil de nouvelles. Je n'avais aucune démarche d'écriture. Je ne m'étais jamais arrêté pour me demander pourquoi j'écrivais. J'ai d'abord refusé, me sentant totalement imposteur.»

Puis un jour, alors qu'il peinait à écrire un roman, enfermé dans sa roulotte, isolé en pleine campagne, il s'est rendu compte que le projet qu'il attaquait lui demandait de faire un retour sur soi. «Ce roman-là était extrêmement différent de tout ce que j'avais écrit. Il me faisait très peur j'attaquais un sujet qui allait déranger bien du monde. L'histoire d'un gars qui sait qu'il doit mourir, et qui décide de faire tout ce qu'il ne s'était jamais donné le droit de faire viol, anthropophagie, tout. Ce projet m'a obligé à me questionner. Pourquoi lisait-on Sade et Bataille, malgré les horreurs qu'ils décrivaient? À cause du style.» Mais son style à lui, quel était-il?

Vézina est revenu en arrière pour comprendre. «Qu'est-ce qui fait ce que je suis? Qu'est-ce qui fait que j'écris? Pourquoi avais-je toujours été fasciné par la démarche de Francis Bacon en peinture, l'énergie du cri, sa quête? Pourquoi à 18 ans, je n'écoutais pas Beau Dommage ni Harmonium, mais les Sex Pistols et Iggy Pop? J'ai pris des notes. Et je me suis rendu compte après 70 pages que j'étais en train de faire le livre que Victor m'avait demandé.»

Ce que Vézina a découvert, et que nous découvrons en le lisant, c'est sa grande disponibilité, son absence de jugement et son ouverture totale au monde, aux expériences, à la vie. «Pour écrire, il faut savoir. Il faut aimer. Il faut pouvoir tuer. Et savoir qu'on n'y arrivera jamais. Alors l'amour, le désir, la pulsion. Il n'y a que ça.»

Attraper un dindon sauvage au lasso

Michel Vézina

Éditions Trois-Pistoles, 320 pages