On le savait grand lecteur, mais pas aussi gourmand. Non sans autodérision, le cinéaste Denys Arcand a souligné hier à la Grande Bibliothèque, dans son entretien avec Guy Berthiaume, qu'il était bien malgré lui un adepte du «slow reading» et qu'il ne proposait rien en bas de 2500 pages! Vrai qu'on trouvait de grosses pointures dans ses suggestions: Proust, Pepys, Soljenitsyne, Littell... «Mon rêve serait de ne plus avoir rien à faire dans la vie et de lire»: c'est une confidence qui dit tout.

Entretien passionnant, car Denys Arcand sait très bien parler de littérature. C'est avec précision et simplicité qu'il a expliqué sa liste, dans laquelle Proust et Soljenitsyne sont des «bibles». Proust parce que, selon lui, À la recherche du temps perdu est «la plus grande oeuvre littéraire de tous les temps». «Rien ne se compare à ça. Dans l'ambition et le portrait complet d'une société à un moment où la civilisation occidentale s'écroule.» L'archipel du goulag de Soljenitsyne? «C'est le livre qui a mis fin au marxisme. Quand j'étais jeune, le tiers de l'humanité vivait sous le marxisme.» Enfin, le volumineux journal personnel de Samuel Pepys est cher à son coeur. «C'est un document unique dans l'histoire du monde, une plongée dans la vie quotidienne du XVIIe siècle.»

Nous avons aussi appris, lors de cette conversation, que le cinéaste aime beaucoup parler avec un autre grand lecteur, le comédien Michel Forget, qui lui a fait découvrir récemment ce classique de la littérature québécoise, Trente Arpents de Ringuet. Pourquoi avoir choisi celui-là plus qu'un autre?

«Parce que c'est celui qu'on ne lit pas dans les classiques québécois. La littérature québécoise est une littérature extrêmement lourde, pleine de tristesse et de désespoir, et ce roman-là est le pire de tous. Absolument terrifiant.» Denys Arcand a d'ailleurs révélé qu'il l'avait transformé en monologue pour le théâtre, un travail qui sera publié cet automne.

S'il considère que Les Bienveillantes de Jonathan Littell n'est pas un roman parfait, il a apprécié ce nouveau regard sur la Deuxième Guerre mondiale du point de vue du bourreau nazi. «C'était des monstres jetés sur l'Europe, qui ont détruit toutes les bases morales de la culture européenne. Nous partons tous de cette destruction.»

Les autres livres importants de la bibliothèque d'Arcand: Austerlitz de Sebald, les nouvelles de Tolstoï, Sur la photographie et La maladie comme métaphore de Susan Sontag... Pour l'anecdote, nous avons appris que la dame a été «déstabilisée» par les fantasmes de Rémi à son sujet dans le film Le déclin de l'empire américain. «Quand j'ai écrit ça, je ne savais pas qu'elle était lesbienne», a avoué le cinéaste en riant.

Enfin, la trilogie autobiographique de Michel Tremblay - le «chouchou» des invités de Guy Berthiaume - que sont Douze coups de théâtre, Un ange cornu avec des ailes de tôle et Les vues animées, tout simplement parce que Tremblay et Arcand sont des contemporains, nés le même jour, à un an d'intervalle, et qu'ils ont habité les mêmes rues. «C'est comme l'histoire de ma vie racontée par quelqu'un d'autre!»

Une heure n'aura pas été suffisante pour détailler toute la liste de Denys Arcand, un ogre lecteur.