Jean-François Caron nous offre un des romans les plus réussis de la saison avec Rose Brouillard, le film, oeuvre poétique qui parle de mémoire et des histoires qu'on invente, mais aussi de tourisme, de fleurs et de lait caillé.

Comme plusieurs auteurs de sa génération, Jean-François Caron a décidé d'installer ses histoires en région. Son premier roman, Nos échoueries (prix Jovette-Bernier en 2010), se déroulait dans le Bas-Saint-Laurent. Rose Brouillard, le film, espèce d'Arvida poétique dans lequel la fiction redéfinit la réalité, a pour décors un village inventé de la Côte-Nord.

À Sainte-Marée de l'Incantation, une cinéaste embauchée par l'Office de tourisme est chargée de faire un film sur Onile le veilleur, pêcheur solitaire qui vivait dans une île au large du village. Pour retracer son histoire, elle retrouve Rose, la fille d'Onile, à Montréal. La vieille dame a perdu la mémoire, mais devient le fil conducteur de ce récit animé par une multitude de personnages, dont chacun éclaire la réalité de son regard et de ses souvenirs.

«Je m'intéresse depuis longtemps au phénomène de la rumeur, explique l'auteur de 34 ans. J'aurais pu choisir de raconter l'histoire de Rose à partir d'une seule voix, mais je pense que le roman aurait été plate. J'aime les identités multiples, brisées. En plus on aurait perdu plein d'éléments, comme le village.»

Tout le monde invente dans Rose Brouillard. «Tout part de cela, dit Jean-François Caron, de l'importance de la fiction dans nos vies. Ce matin, je joue à l'auteur, demain je serai autre chose. Nous vivons tous dans des fictions.» À commencer par Rose elle-même qui rattrape des bribes de ses souvenirs, jusqu'à la cinéaste qui se laisse appeler Dorothée alors que ce n'est pas son nom, en passant par les habitants de Sainte-Marée qui s'inventent un passé pour attirer les touristes...

«Ce n'est pas un jugement, je fais plutôt un constat. Le tourisme fonctionne comme ça, à Paris, à Varadero ou dans le Vieux-Québec. À Sainte-Marée, c'est juste plus assumé. Les touristes veulent quelque chose, on leur donne.»

Pour Jean-François Caron, «la vérité n'existe pas», il s'agit seulement d'en être conscient. «La mémoire aussi est une fiction. On recrée toujours nos souvenirs.» C'est probablement pour cette raison qu'il aime tant les «vieux». «Il y a plein de vieux au Québec qu'on n'écoute pas et qui ont plein des choses à raconter. Ce n'est pas grave si tout n'est pas vrai. C'est beau. Ça bouge. Et l'essentiel est là.»

Jean-François Caron se voit comme un héritier du cinéma direct des années 60, et son Sainte-Marée de l'Incantation n'est pas très loin du Arvida mythologique de Samuel Archibald, ni du Saint-Élie-de-Caxton fantastique de Fred Pellerin. Pas question, donc, de se cantonner dans le roman historique. «Notre histoire, il faut l'inventer, la créer, la fictionner», croit l'auteur qui est né dans le Bas-du-Fleuve, a vécu au Saguenay, et qui vient de s'installer à Sainte-Béatrix, dans Lanaudière. «Je ne sais pas si j'arriverai un jour à sortir la région de moi. Mais j'aimerais aussi écrire sur la ville, sur ce que l'humain est capable de créer. Ça aussi, c'est grandiose.»

Une voix

Rose Brouillard est née il y a deux ans lors du festival Mots et marée, au Saguenay, pour lequel il avait écrit un texte original. «J'ai trouvé que ce personnage avait plus à dire que ces quelques pages. Et je me suis rendu compte que plein de monde pouvait intervenir.»

Les personnages sont en effet nombreux dans Rose Brouillard: le bedeau du village, ses trois cousines qui forment un choeur, l'amant de Dorothée, la voisine de Rose à Montréal, un couple de touristes, Onile le veilleur, son apprenti, la mère de Rose au destin tragique, et plusieurs autres encore...

Malgré tout, Jean-François Caron estime qu'on peut difficilement qualifier son roman de polyphonique. «Parce qu'on entend quand même une voix unique, celle du narrateur.» Un narrateur qui intervient à la manière d'un texte de théâtre, chaque scène étant précédée d'une sorte de didascalie. «Je suis Dorothée que ne peut dormir. Elle pense à ce qui viendra», par exemple, ou «Je suis l'enfant Rose par un soir d'orage, Rose qui a peur. Aussi, il y a la vieille chienne et le câille d'Onile.»

Parlons d'un kaléidoscope alors. Ou, comme le proposent les éditeurs de la Peuplade, d'un archipel de séquences, porté par l'écriture fabuleuse de Jean-François Caron. Une écriture poétique certes, mais aussi drôle et émouvante, précise et fluide, lumineuse et saisissante. «J'ai une voix et je l'assume. D'ailleurs je ne sais pas si j'aurais été capable de m'effacer complètement derrière chaque personnage, même si chacun a sa couleur. Le livre est quand même porté par un seul souffle.»

L'ancien rédacteur en chef de Voir-Saguenay se consacre maintenant entièrement à l'écriture. Entre romans et recueils de poésie, il s'intéresse de plus en plus au théâtre et vient tout juste d'adapter Nos échoueries pour les planches. Mais l'écriture poétique demeure la colonne vertébrale de son travail. «Même quand j'écrivais des articles dans Voir, j'avais cette voix. Mais ce n'est pas une poésie structurante, plutôt une poésie du rapport des personnages au monde.»

Rose Brouillard, le film

Jean-François Caron

La Peuplade, 239 pages