Le monde continue de bouillonner et Marie-Claire Blais en prend bonne note dans Le jeune homme sans avenir, son nouveau roman qui vient s'ajouter à sa grande fresque romanesque, littéralement un univers en expansion qu'on ne se lasse pas de découvrir.

On a toujours l'impression de déranger l'écrivain au travail lorsqu'on appelle Marie-Claire Blais à Key West pour l'interroger sur son dernier-né. Promotion oblige, bien sûr. Elle semble déconnectée de ces préoccupations, mais parfaitement au diapason de son époque. Et entièrement dévouée à la littérature.

C'est son attachement profond pour ses personnages, dit-elle, qui explique qu'elle soit rendue aujourd'hui à son sixième roman se déroulant dans cette île mystérieuse, microcosme du monde, alors qu'au départ, il devait s'agir d'une trilogie. «Ce sont des livres qui veulent toujours s'ouvrir, s'ouvrir encore, souffle-t-elle au bout du fil. Au début, je pensais qu'en trois volumes, je pourrais décrire ma vision, mais comme on vit dans un monde tellement bouleversé tous les jours, qui apporte de nouvelles dimensions, de nouvelles régressions aussi, j'ai constaté que trois volumes, ce n'était que le début de ce que je voulais exprimer.»

Ceux qui ont suivi depuis le début cette immense aventure littéraire, commencée avec Soifs en 1995, et poursuivie avec Dans la foudre et la lumière, Augustino et le choeur de la destruction, Naissance de Rebecca à l'ère des tourments et Mai au bal des prédateurs, retrouveront dans Le jeune homme sans avenir des visages familiers. Autour de trois personnages, Daniel l'écrivain coincé à l'aéroport, Fleur l'enfant prodige forcé de jouer sa musique dans la rue et Petites Cendres qui ne veut pas quitter son lit pour rejoindre ses amis travestis, le roman s'ouvre à un moment charnière de leurs vies. «Ça bouge dans leurs pensées. Il y a des prises de conscience et des désirs de réaliser de grandes choses.»

Dans les romans de Marie-Claire Blais, les classes sociales sont réunies dans une écriture sans frontières, lyrique, où dominent souvent les marginaux, les artistes, et une jeunesse qui n'entend pas se laisser écraser, qui survit par la tendresse, l'amitié et la solidarité. «Ils vont se rebeller. Ils sont en colère. Ils se sentent brisés, mais ils veulent vivre à tout prix.» Et cela, en dépit des menaces innombrables qui pèsent sur l'avenir. «Ils combattent pour un élan de rafraîchissement de la planète, quelque chose d'artistique et de beau. C'est un désir qu'ils partagent tous quand il ne sont pas trop dans la destruction. Ils veulent que la terre survive, c'est leur lutte, quoi, et c'est leur héritage. Ce qui se passe dans le livre se passe partout. Vous pourriez le voir dans les rues de Paris ou de la Nouvelle-Angleterre. Ces jeunes gens sont dans le monde entier. On les voit, et ils nous regardent vivre.»

En lutte

Marie-Claire Blais, par son oeuvre, n'est-elle pas elle-même dans cette lutte pour la beauté, la renaissance du monde? «Nous le sommes tous, je crois, à notre manière et chacun à notre façon. Nous voulons tous un monde meilleur, nous voulons tous plus de justice. Mais je crois que l'élan de bonté ou de compassion pour ces jeunes gens-là qui se sentent si misérables, si écrasés, c'est très difficile de l'éprouver. Et ils sont plutôt en colère.»

L'écrivain qui a aujourd'hui plus de 70 ans a bien connu les bouillonnements des années 60 et 70. Que pense-t-elle de l'agitation actuelle, du Printemps arabe, en passant par les émeutes de Londres, jusqu'à ce mouvement étudiant qui s'est levé au Québec? «Ça fait partie de cette résurrection que j'essaie de décrire, répond-elle. Je suis plutôt optimiste. Malgré tout, je crois qu'il y a quelque chose de très positif en ce moment. C'est un peu le début de ce recommencement. Cette révolte, c'est très sain. Ce sont tous ces mouvements-là qu'on essaie de traduire dans les livres, le retour vers une sorte de joie, de beauté. La beauté de la révolte...»

Et l'on comprend que le «jeune homme sans avenir» ne se laissera pas faire. Et que Marie-Claire Blais sera là pour scruter son destin. Ce cycle romanesque pourrait être sans fin. «Je sens que je ne peux pas m'arrêter parce que c'est comme ça, j'ai trop de choses à dire. Ce qu'un écrivain aime faire dans une fresque comme ça, c'est montrer les contradictions des uns et des autres, ce qui est caché aussi.»

Craint-elle de manquer de temps? «Tous les écrivains ont peur de ne pas avoir assez de temps. Mais l'essentiel, c'est de travailler! (rires).

Le jeune homme sans avenir

Marie-Claire Blais

Boréal, 302 pages