À 11 ans, Marie-Christine Arbour a participé avec son père à un voyage de groupe dans le fin fond de la jungle amazonienne, où elle a vécu au sein d'une tribu indienne coupée du monde. Plus de 30 ans plus tard, elle s'est servie de ce périple dont elle était sortie traumatisée, malade et amaigrie pour écrire Utop, roman envoûtant qui parle de serpents venimeux et de chasse aux caïmans, étouffant comme la forêt dense et mystérieux comme le regard fuyant des Indiens.

«Dès mon retour, j'avais essayé d'écrire un livre à partir de cette expérience, raconte l'écrivaine de 46 ans. Évidemment, j'ai arrêté après une quinzaine de pages.» Mais Marie-Christine Arbour portait toujours en elle cette histoire «trop inhabituelle et incroyable», dont chaque détail est inscrit dans sa mémoire. Après une tentative ratée il y a 10 ans - «le livre était écrit du point de vue d'un enfant, ça ne marchait pas, c'était trop long» -, elle en a fait une autre il y a quelques années, adoptant cette fois le regard d'un narrateur adulte. Est né Leucid Roy, quarantenaire urbain jusqu'au bout des ongles, en crise existentielle, qui participe en 1977 à un voyage organisé dans la jungle, sorte de Club Med extrême dont il ne sortira pas indemne.

«Il me fallait quelqu'un en crise, qui avait besoin de changer d'environnement, sinon il ne serait jamais parti.» Les romans initiatiques décrivent souvent la période charnière entre l'enfance et l'adolescence, ou le passage à l'âge adulte. Mais il n'y a pas d'âge pour vivre une expérience qui nous transforme, estime l'auteure. «C'est vrai, il vit un véritable choc culturel et sa vie ne sera plus pareille après. Il n'arrive même pas à communiquer aux autres ce qui lui est arrivé, en fait ça ne les intéresse pas vraiment. Moi aussi ça avait été comme ça.»

C'est en lisant les récits de l'écrivain belge Henri Michaux dans la jungle équatorienne, écrits pendant les années 40, qu'elle s'est sentie enfin comprise... «Il décrivait tout ce que j'avais vécu, l'angoisse, la maladie, la peur de mourir, la difficulté de créer des liens avec les Indiens. Il m'a beaucoup inspirée.»

Utop est porté par l'écriture particulière de Marie-Christine Arbour, faite d'aphorismes et de phrases très courtes, ou même les virgules sont rares: «On oublie vite l'incident du serpent. Tout se fond dans l'irréalité. Le ciel est maintenant mauve. C'est l'heure de manger. La nuit est colossale: elle dépasse l'entendement.» Un rythme incantatoire qui ajoute au climat angoissant de son récit.

«J'aime les styles concis, la simplicité. Les phrases courtes mais denses. Mais c'est en général le sujet qui impose le style: je suis en train de travailler sur quelque chose dont les phrases sont beaucoup plus longues», dit l'auteure qui a écrit beaucoup de nouvelles avant de lancer son premier roman au début des années 2000 - Utop est son quatrième.

Marie-Christine Arbour s'est fait remarquer il y a un an avec Drag, rencontre entre deux êtres à l'identité sexuelle flottante. Ce thème revient dans Utop puisque Leucid, loin des clichés virils, a une sexualité ambigüe. «En vieillissant, je me rends compte que la frontière entre les sexes est de moins en moins évidente, plus fluide. Ça m'intéresse beaucoup.»

Pour Drag, Marie-Christine Arbour s'est inspirée d'un voisin qu'elle avait eu à Vancouver, un travesti très beau qui sortait fumer sur son balcon. «Le reste, j'ai extrapolé. Comme je l'ai fait pour Utop: tout ne s'est pas déroulé comme je le raconte, l'idée est d'élaborer à partir d'une réalité et d'en faire un roman.»

Utop

Marie-Christine Arbour

Triptyque, 207 pages.