Elle fouille l'intensité du présent depuis 30 ans et en ressort avec des filons de vie, des fragments de vérité. Avec Anthologie du présent, la poète et essayiste Louise Warren nous offre probablement son livre le plus achevé.

Le titre lui est venu avant même le premier texte du recueil. Cette «ligne d'horizon» a défini le projet de celle qui aime collectionner, archiver, inventorier.

«C'est vrai qu'anthologie ramène au passé, explique Louise Warren en entrevue. Mais il n'y pas de date ici. Ce livre est vraiment un recueil au sens premier du terme. Ce qui est chouette dans une anthologie, c'est la variété des voix.»

Cette fausse anthologie, donc, comprend plus d'une centaine de textes aux formes et longueurs variées, en plus d'une conversation fascinante avec l'accompagnateur privilégié de la poète depuis ses tout premiers débuts, son premier lecteur. Une conclusion originale à ce livre de tous les présents.

Toute la création poétique de Louise Warren, 16 recueils -en plus de six essais, deux récits et une anthologie -, lui vient du présent. La poète n'a pas le nez collé sur le futur et les souvenirs ne l'intéressent que dans la mesure où ils viennent surprendre son présent, sous une multitude de formes et de vitesses. Elle crée en nommant les sensations.

«Il y a des images très fortes que j'accroche un peu partout, dit-elle, dans les informations, par exemple. Je ne suis pas dans une bulle fermée, je suis très poreuse. Je capte.»

Dès la première page de son magnifique ouvrage, elle écrit: «Je mesure le vide/ce qui cède en moi».

De telles phrases accroche-coeur habitent tout le livre, sorte d'abri, de refuge aux présents multiples et multipliés par le regard de la poète. Les vers de Louise Warren nous rejoignent jusque dans «notre impression parfois d'accumuler trop de vie trop vite».

«Je recherche une esthétique de l'essentiel. Il n'y a pas d'éclat. Moi, face au monde, celui qui m'entoure, une oeuvre d'art, une ville nouvelle. Depuis mes débuts, on a souvent réduit mon monde à celui de l'intime, ce qui m'a permis de rejoindre beaucoup de gens, mais aujourd'hui, j'arrive à créer une nouvelle sorte d'intimité avec mes propres matériaux.»

Tout est finesse et subtilité dans cette publication. Reconnue pour ses livres d'art, la maison des Éditions du Passage a véritablement recréé ici l'art du livre de poésie, laissant les silences, les respirations et le rythme s'imposer, par respect de la parole de l'une de nos grandes poètes.

«C'est une chance, reconnaît-elle, d'avoir un éditeur qui ne fait pas que calculer. Même la table des matières flotte. C'est une alternance de silences et de mots. Je voulais que ça paraisse. Il y a une exploration de l'espace dans le livre.»

Fluidité

Plusieurs textes forment le recueil, un chaos qui a été difficile à rendre fluide, dit-elle, mais qui s'est mis en place naturellement. Il n'y a jamais rien de forcé chez Louise Warren. Son présent n'a rien d'instantané ou de superficiel, non plus. «Il n'y a pas de premier jet dans ce livre», précise-t-elle. Les poèmes sont longuement retravaillés.

Par l'utilisation de l'objet et du lieu, la poète appelle et nomme l'invisible, le fait apparaître, non pas incarné dans les mots, mais dans la trace qu'ils sculptent en nous, lecteurs.

Ce présent ne serait pas celui de son auteure s'il ne procédait pas aussi d'incertitudes, de deuil et de paroles inquiètes, ce «quelque chose d'inconsolable qui progresse». Heureusement, il y a un lac et la nature, celle de Lanaudière où elle vit. «Le lac c'est comme si je nageais dans ma conscience. C'est toujours en mouvement. Ceci dit, je suis aussi à l'aise à Paris que chez moi, mais à la campagne, je suis moins distraite. Il n'y a rien d'autre à faire qu'écrire.»

Formes

Dans ses essais lumineux sur l'écriture et la création, Louise Warren explore la forme des nourritures du présent. Elle le fait ici aussi. Certains poèmes représentent un début de réflexion.

«Dans la vie, croit-elle, on saute le présent. Les gens ne semblent plus capables d'arrêter. La poésie force un temps d'arrêt. On peut revivre six fois le présent en lisant le même texte. On peut rester accroché dans ce noyau.»

L'intensité, c'est le lecteur qui la crée chez Warren. Ce n'est pas une lecture compliquée pour autant, mais elle demande disponibilité et respect. Lire Warren, c'est traverser l'instant, les sens en alerte.

«La question de l'intensité m'habite encore beaucoup, dit-elle. Maintenant, j'essaie de la ralentir. L'intensité peut être un très bon moteur de création, mais peut aveugler aussi. Toute mon esthétique réside plutôt dans la réduction des effets. Comment ralentir cette énergie dans un poème.»

Anthologie du présent

Louise Warren

Éditions du Passage, 240 pages