Chris Harman ne croyait pas que le conflit majeur du nouveau millénaire était celui que le «cliché journalistique» ramène à l'affrontement entre l'Islam et l'Occident. Comment expliquer alors, demandait-il, les conflits «internes» comme la guerre de l'Irak contre l'Iran, un million de morts entre 1980 et 1988, ou plus tard contre le Koweït, un autre voisin musulman? Quant à l'islamisme radical, qui «voudrait revenir à la société du temps du prophète Mohammed dans l'Arabie du 7e siècle», le militant britannique n'y voyait qu'une «utopie» de la partie appauvrie de la classe moyenne. Rien à voir avec Allah ou quelque religion que ce soit.

Depuis ses études de doctorat à la London School of Economics, où il avait mené la première contestation étudiante, Chris Harman (1942-2009) était devenu l'un des grands penseurs marxistes de la seconde moitié du XXe siècle. À ce titre, le leader du Parti socialiste des travailleurs (G.-B.) analysait les conflits de l'angle de la lutte des classes, approche historique qui a mené en 1999 au grand oeuvre de ce fils d'ouvrier: A People's History of the World - From the Stone Age to the New Millenium.

Sous le titre Une histoire populaire de l'humanité, Le Boréal vient de lancer la traduction française de cette «alternative radicale à l'histoire traditionnelle». Radicale non pas tant par les idées de justice et de renouveau qu'elle professe, mais par la façon de mettre en lumière le rôle des autres acteurs de l'Histoire, centrée depuis toujours sur les rois, les présidents et autres puissants. Cette somme de 725 pages -l'histoire de l'humanité en un volume! - intègre à un niveau rarement atteint l'histoire des idées et celle des peuples et de leurs composantes; elle est divisée en courts chapitres de moins de dix pages et chacune des sept parties commence avec une chronologie qui fixe d'emblée le lecteur dans le temps.

La moitié du livre porte sur le XXe siècle et sa «barbarie guerrière» sur laquelle Harman, qui disait «Ni Washington ni Moscou!», se penche avec un microscope nouveau, montrant comment, bien avant le champ de bataille, les conflits ont pris forme entre les divers groupes d'intérêts. Même chose pour les récessions et les booms économiques, les découvertes scientifiques et les catastrophes écologiques, les révoltes de travailleurs et les contestations d'étudiants. Toujours pour répondre aux questions liminaires du dramaturge Berthold Brecht: «À chaque page une victoire./Qui cuisinait les festins?/Tous les dix ans un grand homme/Les frais, qui les payait?

Une histoire populaire de l'humanité

Chris Harman

Boréal, 726 pages

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