En ce monde d'images instantanées, d'immédiat et de pragmatisme, la poésie tend aussi vers le corps, le quotidien, l'objet et le moi, exposés, disséqués, expliqués.

La poésie qui traverse le temps et les modes, celle qui fouille le sacré, le mythique, l'intemporel, le hors-soi, l'au-delà, se fait plus rare et d'autant plus précieuse. Cette écriture n'est pas dans l'air du temps puisqu'elle ne se dépose pas sur les eaux de surface, préférant les profondeurs de l'âme, de l'histoire et du collectif, à l'ego de l'ici-maintenant.

Louis-Philippe Gagnon est parti de cette vision exigeante pour son deuxième recueil Au fond de l'air, paru il y a un moment déjà. Inspiré par le mythe de Minerve, déesse de la sagesse et de la guerre, le poète milite pour une écriture divinatoire.

«Est-ce porter la promesse/neuve sous la forme ancienne/est-ce le morse du poème/suis-je ce lourd festin d'oracles»

Pas de facilité, ni de compromis dans la forme et le contenu de cette recherche de l'immortel pouvant éclairer différemment le mortel. Le bonheur de la lecture se trouve dans l'élévation du regard vers la communauté.

«Quand ce qui tombe sous la vue/laisse croire à nos solitudes son mutisme/dit tout haut/rien n'est seul/dans ce qui se tait»

Il y a un souffle et une vision chez Gagnon qui nous transportent dans son combat pour percer le mystère humain. Heureusement, il n'est pas tout à fait seul dans cette quête parmi les nouveaux auteurs. François Baril Pelletier, à son deuxième recueil, démontre qu'au-delà de la réalité, la poésie peut mener à la liberté.

«Les mailles du concret nous tiennent/et nous avons grand-peine/cloîtré au milieu des ronces/et des clameurs furtives/à fleurir librement/pourtant des chemins ont été ouverts/qu'attendons-nous pour faire la traverse»

L'appel au passé conjugué à l'art du poème permet d'atteindre des cimes mésestimées. Il y a là comme parole d'évangile, une forme qu'a délaissée Frédéric Marcotte dans son deuxième recueil, Les théories de la crise, moins réussi que son premier - plus tourné vers l'anecdotique - mais tout de même traversé de phrases lumineuses.

«Les temples de bois et d'or, où la vie figurait la chair des dieux, gardent de nombreux souvenirs que j'adopterais volontairement. Nous possédons tous les mêmes fleuves de douleurs.»

Cette mansuétude, cette compréhension du monde reste avant tout l'apanage des écrivains d'expérience, comme Claude Beausoleil qui a l'intuition de chercher dans L'autre voix ce qui n'est pas que soi, mais qui nous rapproche les uns et les autres.

«Les autres cent voix cent fois hors-frontières plus loin dans des pages où les ailleurs chaotiques se rejoignent/vers quoi/la poésie/vers qui/vers nous/je ne sais pas.»

Le poète décèle dans la multiplicité des voix ce qui reste universel, intemporel.

«Une langue plurielle redonne ses ailes au temps. Ce que les mots ne disent pas, le silence le perçoit.»

N'y aurait-il finalement qu'à capter «ce qui n'est pas», ce vers quoi tend Danielle Forget en nous rappelant que «les siècles parlent la bouche pleine».

Aussi bien rester à l'écoute. Jean Royer l'a bien compris dans son magnifique dernier ouvrage.

«La clef de l'univers, à l'écoute de chaque vie, limbes du temps, espace du chant, l'ensemble de nos mouvements, les harmoniques en attente, ce qui vient avant nous demeure en nous comme une preuve de l'invisible.»

Royer a ramené du fond de l'air une certitude, celle que le poème peut, au-delà des crises et des cris, transcender l'un en se joignant à l'autre.

«Les mots ont une histoire, une mémoire qui fondent leur présent à même ton destin. [...] Ils sont le chant pressenti d'un tremblement commun».

Au fond de l'air

Jean-Philippe Gagnon, L'Hexagone

Théorie de la crise

Frédéric Marcotte, Les herbes rouges

Terres et traces de l'immuabilité

François Baril Pelletier, David

L'autre voix

Claude Beausoleil, Écrits des Forges

Je vais vers ce qui n'est pas

Danielle Forget, Le lézard amoureux

Poèmes de l'écoute

Jean Royer, Écrits des Forges