Deux ans après sa mort, les lecteurs peuvent enfin découvrir le «livre perdu» du Nobel de littérature José Saramago, écrit lorsque le célèbre écrivain portugais était encore un jeune inconnu et qu'il avait refusé de publier de son vivant.

«Il l'appelait le livre perdu et trouvé dans le temps», a déclaré jeudi sa veuve, la journaliste Pilar del Rio, lors de sa présentation à Madrid.

Écrit par un Saramago alors trentenaire dans les années 50, le roman, intitulé Claraboya, narre la vie des locataires d'un immeuble de Lisbonne.

«On y détecte le monde du grand auteur Saramago», a assuré Pilar del Rio.

Mais lorsque le jeune auteur charge un ami d'envoyer le manuscrit à une maison d'édition portugaise, ses espoirs sont déçus.

Il ne recevra aucune réponse, jusqu'à ce qu'en 1989, devenu alors un écrivain consacré, l'éditeur le contacte pour lui dire qu'il serait honoré de publier son livre, redécouvert lors d'un déménagement.

L'auteur de Le Dieu Manchot et L'Évangile selon Jésus Christ avait alors décliné l'offre, récupéré son manuscrit et refusé qu'il soit publié de son vivant.

«Il nous avait dit qu'à sa mort, nous pourrions faire ce que nous pensions être le mieux», explique Pilar del Rio. «Nous savions tous, je crois que Saramago aussi, qu'il fallait qu'il soit publié.»

Lors de la présentation, la veuve de l'auteur, décédé en juin 2010, a montré des carnets portant les notes que Saramago prenait lorqu'il écrivait ce roman, ainsi que le manuscrit original et celui qu'il avait envoyé à la maison d'édition.

«Saramago a beaucoup souffert de ce mépris», a confié Pilar del Rio, en rappelant qu'il avait ensuite mis vingt ans avant d'écrire un nouveau roman, se concentrant plutôt sur sa carrière de journaliste.

Selon elle, les éditeurs n'avaient pas osé publier «une oeuvre transgressive».

«C'est un livre où la famille, le pilier de la société, est un peu un nid de vipères», explique-t-elle.

«Il y a des viols, des amours lesbiennes, de la violence... Ça, la société portugaise des années 1950 ne pouvait pas le supporter», a indiqué la veuve.

«J'imagine qu'ils le gardaient en attendant des jours meilleurs, mais à l'époque, personne n'imaginait que (le dictateur Antonio) Salazar resterait aussi longtemps», a-t-elle expliqué.

Mais «si quelqu'un vous livre le fruit de son travail, la moindre des choses c'est de lui répondre», a-t-elle lancé.

Le roman est aujourd'hui publié dans la version soumise par Saramago aux éditeurs en 1953, puisque après l'avoir récupéré, l'auteur avait toujours refusé de le lire.

«Mais il savait qu'il avait un intérêt pour l'époque» actuelle, précise Pilar del Rio. Car aujourd'hui comme alors, les gens «sont tout le temps en train de compter leurs sous et de parler de la situation internationale».

Claraboya, déjà paru au Brésil et au Portugal, vient d'être publié en espagnol par la maison d'édition Alfaguara.

D'autres traductions sont imminentes, sa version italienne devant être présentée lors du prochain Salon du livre de Turin.

Né en novembre 1922 dans un village du centre du Portugal, José Saramago avait quitté son pays natal en 1992 pour s'installer dans l'archipel des Canaries, en Espagne, après une dispute avec les autorités portugaises.

Auteur d'une trentaine d'oeuvres souvent polémiques, il fut le premier écrivain portugais à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1998.