Avec son 14e livre, Jean-François Beauchemin creuse la veine du récit philosophique entamée depuis La fabrication de l'aube. Qui l'aime le suive.

Cela ressemble à un testament. Celui d'un homme condamné à mort, reclus dans sa cellule, avec comme seuls compagnons une feuille et un crayon. Écrit à la première personne du singulier, ce livre que l'éditeur, Québec Amérique, désigne comme un roman est loin d'en être un. Car si cet opus de l'auteur de La fabrication de l'aube (prix des libraires 2006) prend comme point de départ une situation fictive (un homme condamné à mort pour avoir tué Dieu), la suite est du domaine du carnet, de l'écrit intime, de la réflexion philosophique.

Depuis qu'il a frôlé la mort, en 2004, atteint d'une grave maladie qui l'a plongé dans un coma d'une dizaine de jours, Jean-François Beauchemin n'écrit plus d'histoires inventées - comme Garage Molinari ou Comme enfant je suis cuit. «En revenant du coma, les choses ont basculé. J'ai commencé à ressentir le besoin de me recueillir pour dire ce que j'avais à dire, de ne plus séparer l'homme de l'écrivain. Je ne peux pas jurer que je ne reviendrai jamais aux romans traditionnels. Mais au moment où on se parle, je ne vois pas tellement l'intérêt d'ajouter une histoire de plus à toutes celles qui se publient chaque année.»

Alors qu'écrit-il? Des livres qui réfléchissent, méditent, philosophent et questionnent. Des livres qui racontent l'expérience, quasi mystique, de sa maladie (La fabrication de l'aube) ou qui réinventent Jésus (Ceci est mon corps). Des livres en forme d'hommage à ses parents disparus (Cette année s'envole ma jeunesse, Le temps qui m'est donné), à ceux qu'il aime. Des livres qui nous éclairent sur sa façon de concevoir la vie, la vieillesse, l'amour, l'amitié, le métier, la mort.

L'auteur né à Drummondville en 1960, et qui a grandi à Laval, ne se réclame pourtant ni de l'autofiction ni du récit biographique. «Ce n'est pas de moi dont je parle dans mes livres, c'est de ma pensée. Je crois que si on veut toucher à l'universel il faut passer par soi. Mais pas n'importe comment. Il faut aller au fond des choses, tout au fond. Quand on touche à ce qu'il y a tout au fond de soi, on rejoint tous les humains.»

Le hasard et la volonté, c'est donc «une grande introspection qui dure 200 pages», comme le résume l'auteur. «Ça fait des années que je réfléchis à la religion, à Dieu, et à son inexistence. J'avais commencé à en parler dans Ceci est mon corps. Ce livre-là en est un peu la suite, le prolongement.»

Son narrateur parle de sa vie d'écrivain, de ses livres, de Manon, l'amour de sa vie, et de son grand ami, qui a la foi. Lui en a contre l'idée de Dieu, contre toutes ces histoires de miracle, de vie après la mort, que l'on se raconte pour adoucir notre existence. «La vie n'a pas de sens, répète Beauchemin. On en invente. Mon personnage, lui, est dans la vie. Du moins j'espère que c'est ça qui transparaît de mon livre. Il est complètement du côté de la vie et ce qui se passe avant et après n'a aucune espèce d'importance. Ce qui l'anime, c'est cette idée-là qu'on ne vit qu'une fois, et qu'il faut s'émerveiller devant ce qui existe.»

Le temps qu'il faut

Lecteur de Saint-Exupéry, Constant et Camus, admirateur de Gabrielle Roy et de Paul Auster, Jean-François Beauchemin a essuyé de nombreux refus de la part d'éditeurs avant de publier son premier roman à l'âge de 38 ans. Il n'a pourtant jamais douté de sa capacité à faire ce métier. «Je pense que je suis né artiste. C'est un don que j'ai reçu. Très tôt - j'étais petit garçon, 4, 5 ans -, je dessinais assez bien, sans avoir appris ça de personne. Déjà il y avait dans mon esprit, dans mon geste, quelque chose d'artistique. J'ai choisi les mots, mais je n'ai jamais cessé de faire des images. J'ai un esprit de dessinateur, un oeil, un regard, ce don de voir ce qui est derrière les choses. Et le jour où j'abandonnerai les mots, où je laisserai le langage de côté, je reviendrai à l'image pure.»

En attendant, si Le hasard et la volonté ressemble à un testament, Beauchemin, lui, n'a pas encore dit son dernier mot. Son prochain roman est déjà bien entamé, voire presque fini. «Ce sera le plus... recueilli de mes livres, prévient-il. J'ai essayé de décrire simplement deux vieilles âmes, celles de deux frères. Une histoire où il ne se passe rien. Tout tient sur les états d'âme, de corps, d'esprit. Mais curieusement, j'ai presque fini, et je trouve que c'est très émouvant.» Ses lecteurs le suivront-ils encore plus loin dans cette voie? On serait tenté d'écrire: Dieu seul le sait. Mais comme il l'a tué, on dira simplement: qui l'aime le lise.

Le hasard et la volonté

Jean-François Beauchemin

Québec Amérique, 176 pages