Dans Philby, portrait de l'espion en jeune homme, le célèbre auteur de La Compagnie met sa fascination pour l'ex-URSS au service d'une histoire d'agent double - ou triple - au temps de la guerre froide.

Dans la famille new-yorkaise des Littell, on a une propension au «cosmopolitisme», comme on disait sous Staline pour désigner les mauvais citoyens qui aimaient un peu trop les pays étrangers.

Robert Littell a vécu le plus clair de son temps en Europe ou au Proche-Orient depuis le milieu des années 60. Quant à son fils Jonathan, il a fait une entrée fracassante dans le monde littéraire avec Les Bienveillantes, monumentale fresque sur le nazisme, écrite en français à Moscou, prix Goncourt 2006. Le père, de son côté, ne cache pas sa fascination pour la guerre froide, l'ex-URSS, l'épopée sanglante du communisme et du fascisme en Europe.

L'écrivain nomade de 76 ans, qui en paraît 15 de moins, publie ces jours-ci son 17e roman, Philby, portrait de l'espion en jeune homme, qui a cette originalité de paraître en français plusieurs mois avant sa sortie américaine. Robert Littell proposait d'ailleurs une lecture de fin d'après-midi, l'autre samedi, dans un salon du très chic hôtel Lutetia. Pratique plus new-yorkaise que parisienne, mais qui a attiré une centaine de fidèles.

Détour en France

Robert Littell a une histoire ancienne avec la France. Journaliste-vedette à Newsweek, notamment pendant la guerre des Six Jours en 1967, il a 35 ans en 1970 lorsqu'il décide de tout laisser tomber pour la littérature. «J'avais de quoi vivre pendant un an, dit-il. Je me suis installé dans le sud de la France. Le roman a été refusé par mon agent littéraire, qui m'a viré. Un cousin, qui travaillait dans une maison d'édition à New York, m'a conseillé de revenir sans hésiter au journalisme. Mais, dans ce village de l'arrière-pays de Cannes, mon voisin était un scénariste de Hollywood jadis victime du maccarthysme. Il m'a dit: "C'est génial, est-ce que je peux le montrer à un copain éditeur à Paris?"» C'est ainsi que La Boucle a d'abord été publiée en français, en 1973, par le célèbre Marcel Duhamel, le créateur de la Série noire...

C'est après ce détour inusité par la France que Robert Littell est devenu - à temps plein - un auteur à succès aux États-Unis. Il est arrivé qu'on lui commande un scénario de film - «le résultat était affreux, mais c'était payé une fortune!» - et La compagnie, son opus majeur de 2002 sur la CIA (plus de 1200 pages en poche) a été porté au petit écran en 2007 dans une série de six épisodes «qui, elle, était très réussie», dit l'auteur. Avant même sa publication aux États-Unis, ce nouveau roman de Littell est vendu - comme les précédents - dans sept ou huit pays étrangers.

Son sujet: le mystérieux parcours de Kim Philby, célèbre espion de la guerre froide qui atteignit les plus hauts niveaux des services secrets britanniques avant de précipitamment se réfugier en URSS en 1963, craignant d'être démasqué comme agent soviétique. Philby faisait partie des «quatre de Cambridge» - jeunes gens de très bonne famille - qui s'étaient mis dès les années 40 au service de l'Union soviétique.

Dans un récit fort habilement mené, on voit «young Philby» débarquer à Vienne en 1933 pour donner un coup de main aux communistes autrichiens, puis jouer les correspondants de guerre pro-franquistes en Espagne pendant la guerre civile, de manière à faire oublier ses antécédents vaguement gauchistes.

Quelle était la vraie nature de Philby, fils d'un aventurier d'extrême droite et arabisant, membre de la meilleure société britannique? Le romancier Robert Littell avance une hypothèse audacieuse, mais pas totalement invraisemblable. Un agent double ne peut-il pas être en réalité un agent triple?

Maître de l'espionnage

Robert Littell, même s'il a exploré d'autres domaines, s'est fait une réputation de maître de l'espionnage, dans la veine de John le Carré. Ce qui l'agace un peu: «Il y a dans le monde de l'espionnage un jeu fascinant sur la vérité et le mensonge, les vraies et les fausses identités. Mais ce qui m'a passionné depuis le début, c'est le coeur du XXe siècle, ce choix infernal entre, d'un côté, les fascismes, et de l'autre le communisme. Si l'on veut que le Carré ou moi écrivions des romans d'espionnage, d'accord, mais pour moi, je parle de l'histoire et j'écris des romans tout court.»

Quant à savoir ce qu'il pense de la gloire phénoménale survenue à son fils Jonathan en 2006, il a déjà beaucoup (trop) donné, à l'époque de la sortie des Bienveillantes, dans des interviews en France. «Je suis évidemment très content du succès gigantesque de ce livre, dit-il aujourd'hui. Si vous voulez en savoir davantage, il faudra l'interviewer. Mais je peux vous le dire: je n'ai pas de rivalité littéraire avec lui. Ni avec d'autres romanciers d'ailleurs. Je n'ai de rivalité qu'avec moi-même.»

Philby, Portrait de l'artiste en jeune homme

Robert Littell

Édition Baker Street

326 pages

Photo: Éditions Baker Street

Philby, Portrait de l'artiste en jeune homme de Robert Littell.