Comment Pierre Elliott Trudeau est-il passé d'ardent défenseur de l'indépendance du Québec à celui de pourfendeur des souverainistes?

L'idée que des gens puissent changer radicalement de position sur une question aussi fondamentale que la place du Québec dans la confédération, suscite frustration et confusion chez les Canadiens depuis des années.

L'adhésion de l'actuelle présidente par intérim du NPD, Nycole Turmel, au Bloc québécois représente une variation sur le même thème.

La question de la loyauté de l'ex-gouverneure générale Michaëlle Jean avait également été contestée lors de sa nomination. Des politiciens comme Jean Lapierre et Lucien Bouchard ont changé d'allégeance et ont été fortement critiqués pour cela.

Trudeau est un de ceux-là tout en ayant été décrit comme le plus fédéraliste des premiers ministres, celui qui a rapatrié la Constitution pour la moderniser.

Même si plusieurs Canadiens ont peine à le croire, dans son jeune âge, Trudeau prônait la séparation du Québec.

Les auteurs Max and Monique Nemni, des amis de l'ancien premier ministre, expliquent ce phénomène dans le livre Trudeau - Fils du Québec, père du Canada, Tome 2 - La formation d'un homme d'État: 1944-1965.

Les Nemni, qui ont fréquenté le politicien au cours des dix années précédant sa mort en 2000, ont retracé les chemins parcourus par l'un des plus célèbres hommes publics du Canada pour écrire cette biographie expliquant l'évolution de sa pensée politique.

Dans le premier volume intitulé Les années de jeunesse: 1914-1944, les auteurs relataient comment Trudeau avait été influencé par la domination du clergé et le conservatisme québécois.

Dans le livre, publié en 2006, on y retrouve un Trudeau favorisant un genre de nationalisme ethnique. Dans un essai publié en 1936 il déclarait qu'il mènerait le Québec à l'indépendance en 1976, avec l'aide d'une armée.

Ironiquement, c'est cette année-là que le fédéraliste Trudeau a vu le Québec élire le gouvernement péquiste de René Lévesque, son frère ennemi.

Dans La formation d'un homme d'État, les auteurs ont fouillé rigoureusement les archives privées et publiques de Trudeau pour expliquer comment il est devenu l'homme que les Canadiens ont connu. Le livre reprend la vie de Trudeau alors qu'il est âgé de 25 ans et suit son parcours jusqu'à son élection à la Chambre des Communes 20 ans plus tard.

«Au cours de la période que nous couvrons dans ce tome, soit de 1944 à 1965, nous voyons l'homme changer constamment, mais ce n'était pas par opportunisme, c'était plus pour s'adapter aux circonstances en vue de prendre le pouvoir» souligne Max Nemni en ajoutant que c'était un homme capable de s'adapter aux circonstances et faire du mieux qu'il pouvait.

Selon Monique Nemni, Trudeau, qui est né et a grandi au Québec, a hérité des valeurs que lui avaient inculquées les intellectuels et les religieux qui l'entouraient. Ensuite il est allé étudier à Harvard, ajoute Mme Nemni, et ça a été un choc pour lui. «Il ne s'est quand même pas converti en un jour, cela a pris un certain temps.»

Le contact avec des idées différentes en provenance de grands penseurs du temps, à Harvard et au London School of Economics, ont fourni au jeune Trudeau de quoi le nourrir intellectuellement comme l'ont aussi fait ses voyages autour du monde.

C'est lorsqu'il fréquentait Harvard que son appui au séparatisme a commencé à s'effriter. À la suite de cette réflexion, il lui est apparu que le Québec était mieux à l'intérieur du Canada.

Parmi les professeurs qui l'ont influencé, les auteurs notent John Henry Williams, un économiste qui a contribué à reconstruire un système économique après la Seconde Guerre mondiale et Alan Harvey Hansen, un autre économiste.

À l'Université Harvard, on lui a aussi enseigné que la société n'était pas qu'un troupeau mené par des élites.

Au London School of Economics, il a été impressionné par les concepts d'égalité et de liberté que lui a légués son mentor Harold Laski.

Le livre illustre bien la transformation du politicien devenu fédéraliste par un article intitulé «La nouvelle trahison des intellectuels» qu'il signait en 1962 dans la revue Cité libre. Dans cet article il affirme que l'idée d'un État-nation est absurde parce que chaque nouvel État se retrouvera avec une minorité qui, à son tour, réclamera sa liberté.