Le prix Gilles-Corbeil de la Fondation Émile-Nelligan, considéré comme le «Nobel québécois», a été remis hier à Victor-Lévy Beaulieu à la Grande Bibliothèque.

Ce prix triennal, le mieux doté en Amérique du Nord -100 000$ - couronne l'ensemble d'une carrière et a déjà été remis à Réjean Ducharme, Marie-Claire Blais ou Jacques Poulin. Mais l'importance même de ce prix semblait presque petite face à l'oeuvre colossale de VLB, comme l'a souligné Lise Bissonnette, présidente du jury 2011, dans son allocution: «Il n'y a jamais eu, au Québec, de projet d'écriture plus immense que celui de Victor-Lévy Beaulieu, et même le géant prix littéraire Gilles-Corbeil, que nous lui décernons aujourd'hui, ne pourra en exprimer que des bribes».

En effet, comment résumer la carrière de ce monstre de littérature, écrivain, lecteur, éditeur, polémiste? VLB, c'est près de 50 ans d'écriture ininterrompue - des romans, des pièces, des essais, des téléromans, etc. - qu'il se plaît à imaginer comme un fleuve ou un océan, chaque écrivain ayant sa propre force de courant, en quelque sorte. Et chez VLB, la source ne s'est jamais tarie, augmentant sa puissance avec les années. «Chez Victor-Lévy Beaulieu, la littérature n'est pas une métaphore des vies imagées, a résumé Lise Bissonnette. Elle EST la vie.»

Une pointe aux Gémeaux

Très ironique que ce prix soit remis à VLB après l'hommage raté du gala des Gémeaux, qui s'est mérité une pointe de la part de la présidente du jury. «Ceux qui préfèrent voir en Victor-Lévy Beaulieu un coloré écrivain du terroir, ceux qui sont terrifiés à l'idée de lui offrir un micro dans leurs décors de galas aseptisés sont des ignorants et n'ont d'évidence rien compris aux téléromans que leurs cérémonies prétendaient honorer.»

Le lauréat, coiffé de son béret et portant une cravate Snoopy vintage, a rappelé dans son discours de remerciement la naissance de sa vocation au sein d'une famille nombreuse, aux origines plus que modestes mais à la curiosité bien riche, où la littérature était cependant considérée comme une avenue pouvant mener à la folie, comme chez Nelligan.

La poliomyélite contractée à 19 ans aurait pu confirmer une malédiction; elle a plutôt été perçue par VLB comme «le signe que je devais me consacrer totalement à l'écriture». Dans une urgence proportionnelle à la fureur de dire, «et j'en avais beaucoup à crier, à écrire, à décrire, bien davantage que je ne le pensais moi-même».

VLB, qui prépare un livre sur Nietzsche, aura passionnément vécu son «amour du destin» où il ne s'imaginait rien d'autre qu'écrivain. Grand écrivain. Très grand écrivain. C'est d'ailleurs en fraternité avec les plus grands qu'il aura construit un «genre à lui seul», selon Lise Bissonnette, par ses essais monumentaux sur Hugo, Joyce, Melville, Tolstoï, Voltaire, Foucault, Ferron, Thériault, Kerouac. «À l'origine de tout pays, le cannibalisme est une nécessité, comme l'enseigne ce dieu grec que fut Dionysos, a dit VLB. En dévorant les autres, on se les approprie, on élargit le champ de sa conscience qui, seule, est en mesure d'apporter une plus grande beauté au monde dans lequel on vit.»

VLB, qui se qualifie d'optimiste, affirme avoir dit oui à la vie, «celle du monde en général et du Québec en particulier», rendant hommage au final au regretté poète Paul-Marie Lapointe, avant d'offrir en cadeau à ses lecteurs une adaptation jazzée de ses écrits. Hier, aujourd'hui et demain réunis, comme dans toute son oeuvre, d'une liberté folle, d'une modernité inégalée puisant à même sa mémoire phénoménale, bien enracinée dans sa famille, son pays, le monde, et même dans l'univers tout entier.