C'est son expérience d'actrice dans un film mexicain se déroulant dans une communauté mennonite du nord du pays qui a mené Miriam Toews à Irma Voth, roman de passage brillant et amusant sur l'art, la religion et l'ouverture au monde.

Dans le foyer de l'hôtel Germain, où elle séjourne pendant la tournée de promotion pour son roman Irma Voth, Miriam Toews amorce l'entretien par un élan d'enthousiasme pour Montréal. «J'ai vécu ici quand j'avais 18 ans. C'était formidable!», évoque cette grande blonde aux traits germaniques et à l'allure adolescente, lauréate du prix du Gouverneur général en 2004 pour son roman Drôle de tendresse.

Si Montréal bénéficie dans son esprit d'une place si chère, c'est que cette ville évoque le souvenir d'une certaine liberté pour Toews qui a grandi dans une secte mennonite au Manitoba. «J'ai quitté ma communauté très conservatrice pour vivre à Montréal, qui est sans doute la ville la plus libérale du Canada. Forcément, je ne me suis pas sentie immédiatement à l'aise. À cette période de ma vie, je me sentais pas mal comme Irma.»

Irma, c'est l'héroïne de 19 ans du dernier roman de Miriam Toews. Une jeune femme qui s'ouvre au monde en devenant interprète sur le tournage d'un film dans sa communauté et qui apprend à voler de ses propres ailes. Si, après Drôle de tendresse, Toews avait déclaré qu'elle n'écrirait plus sur les mennonites, les circonstances de la vie en ont décidé autrement.

«Je pense que c'est dans le film Magnolia qu'un personnage dit «Vous pensez avoir tourné la page sur votre passé, mais votre passé n'a peut-être pas dit son dernier mot»», ironise Miriam Toews, qui a été la première surprise quand le réalisateur Carlos Reygadas l'a pressentie pour jouer le rôle d'Esther dans le film Stellet Licht, qui dépeint le conservatisme d'une communauté mennonite établie au nord du Mexique.

«Carlos Reygadas a l'habitude de tourner avec des non-acteurs. Il était en Allemagne pour repérer une actrice quand il est tombé sur une photo de moi dans un article sur un de mes livres. Il savait que j'étais mennonite. Après avoir lu mon livre, il a senti que j'aurais une certaine sensibilité pour interpréter le rôle», relate-t-elle.

Comme au cinéma

Autobiographique, le récit d'Irma Voth, jeune mennonite de 19 ans chassée de sa famille pour avoir épousé un Mexicain (Jorge) qui a déserté le foyer conjugal?

«Ouais, j'imagine. Tout comme Irma, j'ai pris part au tournage d'un film. Mais la communauté mennonite dans laquelle j'ai grandi n'était pas aussi conservatrice que celle d'Irma. Et contrairement à elle, je n'ai pas pris le chemin de la ville avec un bébé à ma charge...»

Pendant le tournage de Stellet Licht, Miriam Toews n'avait aucune intention d'écrire un roman inspiré de ce premier contrat comme actrice (qu'elle qualifie de «surréaliste»). «C'était très étrange, de me retrouver dans cette communauté où tout le monde m'apparaissait comme vaguement familier. J'étais probablement parente avec plusieurs de ces blonds aux yeux bleus vivant dans cette communauté mexicaine.»

Mais quelques années (et un roman, Les Troutman volants) plus tard, les thèmes du rapport art-religion et de la découverte du monde par le cinéma lui ont donné le goût de sortir de ses tiroirs les souvenirs de ce tournage, qui aura été pour elle une expérience «intense et transformatrice».

«L'art et la religion utilisent des métaphores pour raconter des histoires, pour inspirer et donner de la force aux gens. Les deux sont très puissants. Dans le cas d'Irma, elle puise une part de son élan dans sa foi religieuse, mais se nourrit aussi des découvertes qu'elle fait dans le monde extérieur.»

Pour cette Irma qui ne sait pas trop où est sa place, le salut passe par le cinéma, alors qu'elle est engagée pour servir d'interprète, sur le plateau de tournage d'un film réalisé dans sa communauté. Cette ouverture au monde la guidera vers la ville, là où la modernité exulte.

«Je trouvais intéressant de jouer avec le concept de communauté. Celle où a grandi Irma prêche des idéaux d'amour, de pardon et d'entraide, mais ne se révèle pourtant pas très bienveillante. En revanche, c'est à Mexico, ville associée à la violence et à la saleté, qu'Irma trouve un foyer et des gens qui l'acceptent et l'aident.»

Les personnes rencontrées sur le tournage de Stellet Licht ont aussi été pour Miriam Toews de riches sources d'inspiration. «Il y avait des personnes fascinantes dans ce tournage: des personnalités très fortes, des gens très intelligents et hors-normes, desmarginaux adorables... Tout ça correspondait bien à ma façon de voir le monde, qui est pour moi un lieu absurde, ridicule, drôle et tragique.»

S'identifie-t-elle encore aujourd'hui comme mennonite? «Oui, absolument, même si je ne suis pas religieuse. Il y a diverses façons d'être mennonite, comme il y a diverses façons d'être juif», exprime l'auteure de six romans et mère de grands enfants, qui vit désormais à Toronto après avoir résidé longtemps à Winnipeg.

Avec deux de ses romans, qui seront vraisemblablement portés au grand écran, Miriam Toews se réjouit et s'étonne à la fois du déroulement de sa propre existence. Et cette fois-ci, elle semble en avoir terminé avec ses origines mennonites. «J'ai appris ma leçon: jamais plus je ne promettrai de ne plus écrire sur un sujet. Mais j'ai l'impression d'avoir fait le tour de la question et d'être prête à raconter d'autres histoires.»

Irma Voth

Miriam Toews

Traduction française par Lori Saint-Martin et Paul Gagné

Boréal, 290 pages