On peut dire tout ce qu'on veut sur l'intransigeance d'Israël, sa peur parfois justifiée de ses voisins, sa nature de plus en plus belliqueuse, c'est quand même une société ouverte où tous les points de vue s'expriment, où un écrivain comme David Grossman peut mettre en scène l'angoisse de ses concitoyens et le dégoût de toute forme de patriotisme après tant d'années de guerre. Si le roman naît du conflit, alors Israël, c'est le paradis des romanciers.

Une femme fuyant l'annonce est une chronique sur une famille pas comme les autres, dans la mesure où elle est entièrement formée par la guerre. Ofer, le fils d'Ora, part en guerre au Liban du Sud, pour une «opération d'envergure» qui rappelle la mésaventure israélienne de 2006. Encore pire pour sa mère plutôt pacifiste, il s'est enrôlé dans l'Armée après la fin de son service obligatoire. Goût d'aventure, patriotisme, solidarité avec ses compagnons? On ne le sait pas.

Ora craint avec raison la pire des nouvelles: la mort de son fils sur les champs d'honneur qui ne sont ni honorables, ni glorieux. Angoissée, craignant que les messagers de la mort ne lui apportent la nouvelle du décès d'Ofer, Ora décide tout simplement de disparaître. Elle chausse ses bottes de marche et part en Galilée, dans les montagnes désertiques, là où aucun messager ne peut la trouver. Le déni? À 100%.

Mais Ora ne part pas seule. Elle invite Avram, son ex-amant et père d'un de ses fils, à venir avec elle, quoique son invitation ressemble plus à un rapt: elle débarque chez lui et l'oblige à suivre. Commence un long périple où Ora et Avram traverseront le pays à la recherche d'une vie sans nouvelles.

Qui prend la route fait des rencontres, et les anciens amants passeront par des villages arabes, des vestiges de plusieurs guerres, des ashrams où des ultra-orthodoxes tentent de fuir la guerre en se réfugiant dans la religion. Et c'est tout le passé d'Ora que nous lirons lors de cette fuite.

C'est une femme dont le sens du timing a fait défaut, c'est le moins qu'on puisse dire. Quand elle était enceinte du fils d'Avram, elle vivait avec le meilleur ami de celui-ci, Ilan, et vice-versa pour son autre fils Adam. La tragédie d'Avram domine le livre. Capturé par les Égyptiens lors de la bataille du Sinaï, il a été torturé et est revenu de sa captivité en épave humaine. Chaque aspect de la société israélienne est marqué par la guerre, et personne ne s'en sort. Aucune issue à part l'exil.

L'auteur David Grossman s'est fait connaître sur la scène internationale comme une voix pour la paix: il a récemment signé un texte qui exhortait son gouvernement à être le premier pays à reconnaître la Palestine. Lui-même a perdu son fils au Liban du Sud, et il faudrait lire ce roman sous la lumière - ou plutôt à l'ombre- de cette perte. Une femme fuyant l'annonce est la très longue chronique d'une fuite. Mais au Moyen-Orient, il n'y a pas de fuite possible, même pour une minute.

Une femme fuyant l'annonce

David Grossman, traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen

Seuil, 667 pages.

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