Le lien père-fils interrompu par la mort est au coeur de deux très beaux premiers romans parus en ce début de saison littéraire. Très différents dans la forme et dans le ton, tous deux parlent de transmission et de mémoire, mais surtout d'amour filial et de perte à combler.

Les deuils vécus dans les deux livres ne sont pas de même nature. Depuis les cendres, d'Emmanuel Bouchard (auteur du recueil de nouvelles Au passage paru en 2008), raconte le voyage d'Hubert, jeune adulte désorienté après la mort de son père foudroyé par le cancer. Sur les routes de France, il revit les derniers mois de cet homme solide et peu bavard, et apprend à se débarrasser de son deuil, comme il abandonne derrière lui, à chaque étape de son voyage, les vêtements de son père qu'il avait emportés dans sa valise.

Thierry Leuzy, lui, prend le deuil par l'autre bout de la lorgnette, puisque Thure c'est le nom du narrateur et le titre du livre n'a pas connu son père Arthur, mort le jour de sa naissance. Mais il a passé les premières heures de sa vie couché sur l'abdomen de son géniteur plongé dans le coma, avant que sa mère Mijeanne ne le débranche.

Quand sa mère meurt, Thure découvre un carnet de croquis dessinés par son père. Comme Hubert, il entreprend un voyage, chaussant les souliers d'Arthur et lui donnant une voix pour raconter son histoire telle qu'il la pressent. En refaisant le chemin bien rempli d'Arthur qui lui aussi n'a pas connu son père, Thure réalisera qu'il lui a toujours manqué, mais retrouvera aussi «la lanterne qui brille de génération en génération» dans les yeux de Fay, sa fille.

L'essentiel de Thure repose donc sur l'histoire d'Arthur, enfant de la guerre élevé par son grand-père Michoustine, professeur de ballet et homme plus grand que nature. On les suit de la France au Québec, et on découvre surtout les balbutiements du grand amour entre Arthur et Mijeanne, probablement les moments les plus sentis d'un roman où les ruptures de ton sont nombreuses et où les voix celle d'Arthur et celle de Thure sont passionnées, tonitruantes ou lyriques, et jamais neutres.

Le chuchotement et la discrétion caractérisent davantage l'écriture d'Emmanuel Bouchard. Depuis les cendres est un roman tout en douceur, c'est vrai, mais qui brasse des émotions immenses. «C'était écrit sur son visage, sur chaque partie de son corps que la vie ne serait jamais pour lui marathon; tout au plus un demi-fond», écrit-il. Regrets, culpabilité, empathie, amour, ces sentiments n'en sont peut-être que plus grands parce que retenus, et on pense parfois à Jean-François Beauchemin dans cette capacité de décortiquer les détails les plus subtils liés au deuil et au nécessaire processus de détachement.

Un détachement qui ne signifie aucunement l'oubli, puisque Hubert veut se souvenir de tout, et ne renie pas l'héritage laissé par son père ne serait-ce que leur ressemblance physique. Son périple français, pendant lequel il rencontre Helena, jeune Britannique à peine sortie d'une relation destructrice, sera donc pour lui l'occasion d'évoquer des moments douloureux, mais aussi de se souvenir avec tendresse de l'homme qui l'a élevé.

Depuis les cendres est au bout du compte un hommage magnifique au père solide et aimé, une déclaration d'amour et de respect qui touche par sa sincérité et sa grande humanité.

Depuis les cendres

Emmanuel Bouchard

Hamac, 172 pages

*** 1/2

Thure

Thierry Leuzy

La Bagnole, 200 pages

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