De lui, Pierre Assouline, blogueur au Monde, a écrit: «On ne pourra plus lire Bernhard sans entendre Merlin». Nous aurons droit nous aussi à cette illumination, avec la visite rare de Serge Merlin au Festival international de la littérature (FIL), qui lira Extinction, dernier roman de Thomas Bernhard dans lequel l'écrivain autrichien règle ses comptes une fois pour toutes avec le passé national-socialiste catholique de sa patrie détestée, qui le lui rendait bien.

«C'est l'Amérique? Comment allez-vous? Il fait beau là-bas? Que ça doit être beau!» Voici comment Serge Merlin nous accueille au téléphone, si bien qu'on lui demande s'il en est à sa première visite au Québec. «Je suis venu quand j'étais très jeune homme et maintenant, j'ai 78 ans... J'ai rencontré un écrivain canadien à Paris qui m'a parlé de l'ambiance de cette manifestation et aussi de ce que vous faites dans votre théâtre pour montrer le plus de choses possible dans votre langue. C'est très touchant dans un monde où de plus en plus s'éloignent les voeux de qualité, d'exception, de rareté.»

L'acteur Serge Merlin est plutôt anonyme au Québec, puisqu'il est plus particulièrement dévoué au théâtre. Vous vous en souvenez peut-être, il était le voisin solitaire d'Amélie Poulain dans le film de Jean-Pierre Jeunet. Mais il est surtout connu en France comme l'un des meilleurs interprètes de Samuel Beckett et de Thomas Bernhard, auxquels il a consacré une bonne partie de sa carrière. Il a d'ailleurs souvent l'impression de tromper l'un avec l'autre.

Mais comme il est question de Thomas Bernhard dans cet entretien, il raconte sa rencontre avec une oeuvre marquante, dès le premier livre, intitulé Gel, qu'il a lu en une nuit. «J'ai ressenti que c'était un «frère en dieu» comme qui dirait. Que c'était un être qui avait parlé de domaines dans lesquels je suis tout le temps habité, mais d'une façon grandiose, parfaite, avec un style incomparable. J'en étais complètement atteint. Complètement étonné de la région de l'âme que ça pouvait concerner. De la rage avec laquelle cet être de littérature abordait les choses, à la fois physique et d'une construction de pensée absolument vivace, et extrême. Je sais que c'est un être que je connais et qui me parle de sa tombe quand je suis sur scène. Je l'entends me chuchoter, me murmurer des choses dans son texte. Sa présence m'est continue. Même certaines blagues qui m'arrivent dans la vie me viennent de lui. Je joue actuellement Beckett, eh bien, il est en colère. Il me joue des tours, c'est un gros farceur. Il est pénible!»

En rage contre l'auteur

Peut-on faire plus corps avec un texte? Serge Merlin est près de Thomas Bernhard aussi parce qu'il est très ami avec son frère, qui lui a donné la montre de l'écrivain. «Je l'ai au poignet en ce moment», dit-il, joyeux. Mais l'acteur avoue avoir dû se battre avec l'écriture de Bernhard pour parvenir à la rendre le plus parfaitement possible. «Il y a une grande différence entre l'oeuvre théâtrale de ce génie, et ses romans, précise-t-il. L'oeuvre théâtrale est complètement bloquée sur elle-même, elle est un mouvement qui se remange lui-même, et cette oeuvre n'a pas de clés, elles ont été jetées dans un torrent de Haute Autriche... Chaque fois qu'il faut aborder cette oeuvre théâtralement, on est obligé d'être en rage contre son auteur, d'être d'une violence complète et continue contre lui, car il ne permet pas l'accès aux personnages. Il y a toujours quelque chose dans Thomas Bernhard qui se réfute, qui se retire, qui ne se donne pas, ni à l'interprète, ni au public. C'est vraiment un match de catch.»

Une nécessité

Pour Serge Merlin, lire Extinction était une «nécessité». Il s'agit du dernier roman de l'écrivain, publié trois ans avant sa mort. Une charge à fond de train contre la famille, contre cette patrie amnésique de son passé nazi, contre la bêtise bourgeoise, dans le style unique et l'humour féroce de Bernhard, et cet «art de l'exagération» qui fascine Serge Merlin. Pour l'acteur, dans cet ultime roman, «c'est la première fois que Thomas Bernhard s'est réconcilié avec lui-même. Il a avoué qu'il baissait les bras et qu'il acceptait de dire oui, lui aussi, au monde. Alors que dans ses autres oeuvres, il termine toujours par un grand reproche humain, une déception.»

Mais l'écriture bernhardienne y est intacte, et atteint même les sommets selon son interprète. «Ah oui, c'est sauvage! C'est un ravage, comme ce qu'il décrit de l'Europe qui a été ravagée par cette pensée du nazisme et qui a vaincu l'Europe de la pensée, de l'a musique, de l'idéel, et qui nous a rendus très seuls. Thomas Bernhard est quelqu'un qui peut entendre ça au plus haut degré. La joie, l'allégresse dans cette destruction de tout, c'est le cri d'un voeu, d'un désir obstiné qui ne pourra jamais être vaincu.»

Extinction, d'après Thomas Bernhard, avec Serge Merlin. Du 26 septembre au 1er octobre, au Théâtre Prospero.

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Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent

Aujourd'hui (16h et 21h) et demain (16h) à la Cinquième salle de la Place des Arts

On ne le dira jamais assez, ce spectacle dirigé avec intelligence et folie par Loui Mauffette est un véritable événement et les artistes se bousculent pour y participer, d'Anne Dorval à Sébastien Ricard, en passant par Benoît McGinnis et Maxim Gaudette. Des invités surprises sont aussi annoncés, dont Diane Dufresne.

Gaston Miron, la vie d'un homme

Aujourd'hui (14h) à l'Auditorium de la Grande Bibliothèque

Pierre Nepveu, auteur de la magistrale biographie de notre poète national publiée cet automne chez Boréal, participe à une causerie en compagnie du cinéaste André Gladu, qui a réalisé en 1994 Gaston Miron - Les outils du poète. Une projection du film suivra la discussion animée par Stanley Péan.