L'auteur Dany Laferrière, l'athlète Chantal Petitclerc et la médecin Lucille Teasdale sont les trois Québécois à faire leur entrée dans Le Petit Larousse illustré, allant rejoindre les Bernard Landry, Robert Charlebois et autres Marie Laberge qui s'y sont ajoutés au cours des années. En tout, une centaine de Québécois - individus et institutions- apparaissent maintenant dans le Larousse, du père Brébeuf à Gilles Vigneault, en passant par René Lévesque et le Cirque du Soleil.

«Je dirais que cette année, il y a de la chaleur humaine dans notre sélection», a expliqué hier le directeur éditorial des dictionnaires de langue française des éditions Larousse, Jacques Florent. Fasciné par l'érudition de Dany Laferrière et charmé tout autant qu'impressionné par la détermination de Chantal Petitclerc, il voit en Lucille Teasdale, qu'il ne connaissait pas, l'équivalent québécois de l'abbé Pierre.

«Mais nos critères sont toujours les mêmes: le personnage doit être populaire, il doit avoir accompli une oeuvre, et cette oeuvre doit avoir un rayonnement», explique-t-il. Si le comité éditorial de Larousse est souverain, ce sont des conseillers québécois qui lui soumettent leurs propositions.

Comme chaque année, des termes propres au Québec font aussi leur entrée. «Chicouté», «s'évacher» et «smoked-meat» s'ajoutent donc à un répertoire déjà bien garni. Sur un peu plus de 2000 mots qui sont des «francophonismes» - expression pas encore admise, mais bien pratique, estime M. Florent-, environ le tiers provient du Québec. «Probablement parce que l'enjeu est plus important pour les Québécois.»

Pour cette édition 2012, Le Petit Larousse illustré a subi une refonte majeure. Avec 3000 nouveaux mots, sens ou expressions, une trentaine de nouvelles planches - dont une innovation, des pages plus pédagogiques qui répertorient, par exemple, des grands courants de pensée politique ou les mouvements littéraires-, la section des noms communs a été complètement remaniée. Dans chaque secteur, un spécialiste a pris tous les mots qui y sont rattachés, les a analysés en détail et a décidé de ce qui doit être conservé, modifié ou rejeté.

«D'habitude, ce sont environ 200 mots ou locutions qui apparaissent chaque année. Dans ce cas-ci, en passant de moins de 60000 à 62000, il y en a environ 5% de plus», précise Jacques Florent. Une remise à neuf du genre est faite tous les 10 à 15 ans, dit-il, et demande environ deux ans et demi de travail. La dernière date de 1998: c'était bien avant l'arrivée de Wikipédia, et la concurrence de l'internet était minime.

Concurrence de l'internet

Larousse a dû s'adapter au cours des années, mais le grand patron ne se sent pas en concurrence. «Nous avons notre propre site, Larousse.fr, depuis trois ans. On y a accès au dictionnaire, à une encyclopédie avec du 3D, de l'animation et de l'audio, à des dictionnaires bilingues aussi. Des gens peuvent y contribuer, mais les articles sont signés, contrairement à Wikipédia, qui est anonyme.» Bien sûr, il y a une obligation de gratuité, mais Jacques Florent, qui a piloté la mise sur pied de ce site, n'a pas l'impression que l'édition papier est «vampirisée» pour l'instant. «Ce dictionnaire-ci est tiré à 700000 exemplaires, ça veut dire qu'on y croit. On constate une érosion, peut-être, mais elle est très lente.»

Jacques Florent, qui est entré chez Larousse alors qu'il était encore étudiant en architecture, ne peut pourtant pas s'empêcher de prêcher pour le papier, pour lequel il a une nette préférence. «J'aime l'idée de clore une nomenclature, de prendre cette responsabilité, de faire un cadrage dans le temps. Le concept de la hiérarchisation dans l'information est important aussi. Et le papier a cet avantage immense de pouvoir passer d'un sujet à un autre sans qu'ils aient rapport ensemble, dans un ordre un peu à la Prévert. Par exemple, après avoir lu l'entrée sur Victor Hugo, passer aux Huns et lire sur le sujet même si ce n'était pas le sujet de notre recherche. Ces trois aspects appartiennent uniquement au papier, et ce sont ses avantages.»

Nouvelle orthographe

Pour la première fois, la nouvelle orthographe est intégrée au dictionnaire Larousse. «C'est en tête d'article, mais distingué de l'orthographe classique», précise Jacques Florent. «Igloo», par exemple, reste l'entrée principale, mais iglou suit immédiatement, écrit en italique. C'est le cas avec une foule d'autres mots, tels nénuphar et nénufar, oignon et ognon, traîneau et traineau, asseoir et assoir ou tire-bouchon et tirebouchon. Le jour viendra-t-il où seule la nouvelle orthographe prévaudra? «Ce n'est pas à nous de le dire, répond Jacques Florent. Ce sont les utilisateurs de la langue qui le décideront, comme alvéole est devenu un mot féminin avec le temps, comme événement peut maintenant aussi s'écrire évènement. Nous ne sommes pas normatifs et c'est l'emploi qu'on fera de la nouvelle orthographe qui déterminera la place qu'elle aura dans les dictionnaires au cours des prochaines années.»