Cousine germaine de l'héroïne de L'avalée des avalées, la curieuse, dangereuse et intrépide adolescente de Brigitte des Colères nous revient dans un second tome. Au fil des pages de L'exterminacoeur(e), on s'immisce dans l'imaginaire foisonnant d'une cégépienne un peu poquée et maganée, mais toujours et surtout une résiliente éprise d'absolue, née de la plume du romancier autodidacte et atypique Jérôme Lafond.

Quand on l'invite à se prononcer sur sa «parenté littéraire» avec Réjean Ducharme, Jérôme Lafond concède que oui, «Bérénice Einberg n'est pas loin». «Après la publication du premier tome, quelqu'un m'a dit que pour Brigitte, il y avait deux options, raconte l'auteur. Soit elle deviendrait schizophrène, soit elle s'en sortirait super bien», confie l'auteur. Elle revient de loin, la petite Brigitte de Saint-Scholastique qui, dans le premier roman de Lafond publié en 2010, fréquentait le pensionnat jérômien, se faisait parfois pyromane, trippait «films d'horreur et tueurs en série» et vouait un amour inconditionnel à son Jean-Baptiste.

Dans sa seconde naissance, Brigitte fonctionne sous médication, vit chez sa mère à Saint-Jérôme, se lance dans une histoire d'amour avec une jeune femme schizophrène et prend la défense des «personnes atteintes de déficience intellectuelle importante».

«La populace dit: «Ils ne sont d'aucune utilité. Nous devrions les éliminer dès la naissance.» Si nous devions éliminer tous les inutiles de la planète, il ne resterait plus grand monde», écrit Lafond.

Autodidacte - «J'ai arrêté d'étudier après un trimestre de cégep» - mieux à son aise dans ses Basses-Laurentides natales que dans la grande ville - «Je ne pourrais jamais vivre à Montréal, ça me rendrait malade» -, Jérôme Lafond s'illustre dans le paysage littéraire québécois par son style riche, habile et unique.

Bien à l'abri du tourbillon urbain, dans son 4 1/2 de Saint-Jérôme, Jérome Lafond dépeint les repères géographiques et émotifs de son enfance - le Farmers Supply, la foire agricole, la cabane à sucre - qu'il fait arpenter par la vaillante et délinquante Brigitte. Les mots de celle qui revendique sa préférence pour les «métiers non traditionnels pour les femmes» sont aussi traversés par une critique sociale et culturelle.

«La populace veut entendre: «J'ai mal en dedans.» La populace veut entendre: «Ce que je ressens en dedans.» Pour moi, «en dedans», c'est de la paresse artistique et intellectuelle», déplore, par exemple, le personnage titre de Brigitte des Colères.

«À Brigitte, je peux faire dire tout ce que je veux», exprime Lafond, qui précise que si son héroïne comprend tout, elle n'a pas forcément raison...

Une féministe, la Brigitte? «Je ne sais pas. Elle est à l'aise dans l'érablière de Bernard et trouve surtout son apaisement dans la nature», exprime Jérôme Lafond, qui a longuement interviewé un de ses oncles, propriétaire d'une cabane à sucre, pour documenter son roman. S'il précise bien que ce deuxième roman n'est pas autobiographique, Jérôme Lafond soutient avoir voulu «défaire les tabous sur la maladie mentale», dans ce second roman. Il y a aussi, dans son travail, une volonté de décrire la réalité des petites villes, où beaucoup de gens vivent sur la corde raide. Des lieux qui, à son avis, ont été désertés par une certaine humanité.

«Ce n'est pas normal qu'à Saint-Jérôme, le seul endroit où faire l'épicerie est le Tigre Géant.»

Malgré tout, Jérôme Lafond n'a pas de projet de quitter ses Basses-Laurentides. Et il s'affaire à la rédaction d'un troisième roman, qui porte sur la nécessité de se méfier des poètes. Faut-il aussi se méfier des écrivains, M. Lafond?

«Il faut se méfier de bien du monde dans la vie.»

Brigitte et Bérénice ne sauraient mieux dire...

______________________________________________________________________________

Brigitte des Colères, Tome 2 L'exterminacoeur(e). Jérome Lafond. Éditions Marchand de feuilles, 218 pages.