Auto-stop est le premier véritable roman de Daniel Bélanger puisque Erreur d'impression, paru en 2000, était davantage un recueil de petits textes et de courtes pensées. Cette fois, le chanteur s'est attelé à raconter une véritable histoire en suivant les pas d'un tout jeune homme dans son premier voyage en Europe.

Vincent part parce qu'il s'ennuie: il a 19 ans et tout l'indiffère. Ce voyage typique, sac à dos-auberge de jeunesse, ne le fait pas davantage vibrer, jusqu'à ce qu'il rencontre, à Florence, Anna, belle Italienne avec laquelle il vivra une étrange relation faite d'attirance, de résistance et d'esquive. «Vincent est constamment sur les freins, il n'aime pas quand ça pétille. Au début du livre, il est froid et carré, mais, après avoir rencontré la fille, il s'assouplit», raconte un Daniel Bélanger détendu, qui dit avoir eu en commun avec Vincent cette nonchalance et ce manque d'ambition lorsqu'il était jeune adulte.

Mais là s'arrête toute ressemblance. «Je me suis inspiré d'un voyage que j'ai fait en Europe au même âge, mais je n'ai pas vécu le dixième de ce que Vincent a vécu! De toute façon, c'est comme pour une chanson, chaque fois je pars de moi, puis je m'éloigne. À la fin, je ne me reconnais plus.»

Pour écrire Auto-stop, Daniel Bélanger s'est replongé dans l'ambiance des années pré-chute du mur de Berlin, les années 80 «frettes et glaciales» du no future, entre autres en écoutant la musique qu'il aimait à l'époque. Pour le reste, il s'est laissé porter par un «courant tranquille» et a connu le plaisir d'écrire sans contrainte, sans plan, en improvisant l'itinéraire de son personnage. «J'ai toujours écrit en pensant à comment le texte et la musique peuvent se rencontrer et faire en sorte que cette rencontre soit équitable», dit-il en expliquant avoir apprécié de ne pas avoir à écrire «entre les lignes» et s'étendre un peu.

Il a tout de même adopté la forme «chanson», qu'il adore depuis toujours, dans une mise en page faite de courtes lignes centrées. Le résultat, charmant, est cependant très concret, moins éthéré et beaucoup plus précis que ce à quoi il nous a habitués dans son oeuvre chansonnière. Il s'est amusé à trouver le bon rythme, à trouver une résolution à la fin de chaque paragraphe, une «lubrification» qui amenait Vincent ailleurs. Il a surtout appris l'ABC de la fiction, et s'il ne se considère pas écrivain, il assume complètement son statut d'auteur. «Dans auteur-compositeur-interprète, il y a le mot auteur», souligne-t-il, conscient que l'aspect écriture a souvent été le moins naturel pour lui. Il s'est donc découvert une facilité qui l'a soulagé. «On me demanderait demain de faire une oeuvre symphonique, ça resterait de la musique pour moi. C'est la même chose de passer de la chanson au roman.»

Avec Pierre Jourde

Bref, Daniel Bélanger ne souffre pas du syndrome de l'imposteur. Une chance: l'autre auteur, qui démarre avec lui cette nouvelle collection des Allusifs, est le romancier et essayiste français Pierre Jourde. La présence, incursion très profonde dans sa propre peur des maisons vides, a même fait partie, la semaine dernière, des coups de coeur de Jérôme Garcin, dans le Nouvel Observateur. Bélanger et Jourde feront même de la promotion ensemble en France au mois de mai... «C'est vrai que c'est ironique, dit Daniel Bélanger, qui admet être très peu connu outre-Atlantique. Je ne m'attendais pas à ça, mais j'aurais dû m'en douter, puisque c'est en France que j'ai découvert Les Allusifs, et que c'est seulement après que j'ai su que cette boîte était dirigée ici.»

Comme il trouvait intéressante cette maison d'édition spécialisée dans la traduction de livres courts, c'est tout naturellement qu'il a proposé ses premiers écrits à Brigitte Bouchard, grande patronne et âme des Allusifs. C'est elle qui a eu l'idée d'insérer Auto-stop dans sa série sur les peurs. «Son texte parlait de la peur du désir, de s'impliquer. J'ai tout de suite pensé à cette collection en le lisant. J'ai craint que Daniel recule quand je lui en ai parlé, mais au contraire, ça l'a motivé, les choses sont devenues plus claires pour lui», raconte-t-elle.

Brigitte Bouchard avait depuis longtemps en tête de travailler sur le thème de la peur. «Je voulais un recueil de nouvelles, mais c'était très compliqué de réunir les auteurs que je voulais. C'est alors que j'ai eu l'idée de cette série de petits livres.» Sur le point de signer des contrats, l'éditrice n'a pas voulu dévoiler les noms de ses autres prises, mais elle continuera dans la même veine, avec des auteurs de la francophonie, mais pas seulement des écrivains. «Je veux y inclure d'autres personnalités, comme des philosophes. Je veux de la diversité, des gens qui ont envie de réfléchir. Et la forme est toujours aussi libre, ça peut être de la fiction, un essai, le mode épistolaire...»

De toute façon, le thème est vaste, constate-t-elle, puisque la peur est partout, surmédiatisée. Mais ses deux premiers auteurs l'ont étonnée par leur franchise et leur capacité d'aller dans l'intime, de se «lâcher lousse», même.

Daniel Bélanger, lui, a-t-il eu besoin de courage pour plonger dans la fiction? Il réfléchit un peu avant de répondre non. «Quand on a la forme, les idées, on peut aller jusqu'au bout. L'inspiration, c'est le contraire de la peur.»

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Auto-stop. Daniel Bélanger. Les allusifs, 80 pages.

La présence. Pierre Jourde. Les allusifs, 88 pages.