Le pire cauchemar d'un parent: dans son neuvième roman, Andrée A. Michaud fait une plongée dans le drame causé par la disparition d'un enfant en racontant le désespoir et l'incrédulité de ceux qui restent. Rivière Tremblante, roman sombre illuminé par la légèreté de l'enfance, parle de mémoire, de deuil et de la fugacité du bonheur.

Le thème de la disparition préoccupe depuis longtemps Andrée A. Michaud, qui a remporté le prix du Gouverneur général il y a 10 ans pour Le ravissement, dans lequel elle abordait déjà le sujet. «Je sais qu'on peut faire un lien entre les deux romans, mais il n'est pas réel. Au départ de Rivière Tremblante, il y a un cri, un cri qui m'obsède depuis l'enfance, mais je ne savais pas vers quoi il me mènerait.»

Ce «cri de la mort» l'a menée à Rivière Tremblante, roman dense et angoissant qui mêle deux histoires - presque trois, en fait. D'abord celle de Bill Richard, dont la petite Billie est disparue depuis trois ans, et qui quitte la ville qui a mangé sa fille pour s'installer à Rivière Tremblante. Au même moment revient Marnie qui, 30 ans plus tôt, avait vu son meilleur ami Michael disparaître alors qu'ils jouaient près de la rivière. Peu de temps après l'arrivée de Bill et Marnie, un petit garçon disparaît, et tous deux sont soupçonnés d'être liés à ce drame...

Même si elle parle de disparition, le but de l'auteure de 53 ans n'est pourtant pas de résoudre une intrigue. Rivière Tremblante n'est ni un polar, ni un thriller. «Je crois que suspense psychologique serait la bonne définition. C'est difficile à dire, parce qu'il y a beaucoup de choses et de thèmes abordés... C'est un roman, quoi!» Un roman où il est moins important de savoir qui a enlevé Billie et ce qui est réellement arrivé à Michael que de comprendre comment survivent ceux qui sont restés derrière. «Ça arrive, des enfants qui disparaissent sans qu'on découvre leur agresseur. Ce livre n'est pas un suspense qui trouve sa résolution, il porte sur la perte et le deuil, sur les deuils qui perdurent parce qu'il n'y a pas de résolution. Bill pourrait faire son deuil s'il savait ce qui est arrivé à Billie.»

Le père traîne donc sa tristesse et sa culpabilité avec lui, ses souvenirs aussi - d'une tendresse et d'une félicité qui font mal. Car chez Andrée A. Michaud, le bonheur est éphémère. «Billie ne disait pas heureux, mais content, parce que la notion du bonheur est une notion qui appartient aux adultes, à ceux qui ont perdu le plaisir simple de l'enfance et qui espèrent un inaccessible nirvana au lieu de se contenter d'être contents», se souvient Bill. Andrée A. Michaud parle ainsi de la fragilité de l'enfance, de son extrême vulnérabilité, mais aussi d'un lieu idyllique, un paradis - pour ceux qui ont eu une enfance heureuse - où on voudrait retourner.

C'est aussi le lieu de toutes les fictions: les enfants de Rivière Tremblante aiment les histoires. Billie adorait celles que son père lui racontait, et Marnie vit avec tous les personnages qu'elle a inventés ou incarnés avec Michael. Mais ses souvenirs sont tronqués: que s'est-il passé le jour où son ami a disparu? Que lui a-t-il dit tout juste avant de s'envoler? La mémoire est un thème qui obsède l'écrivaine. «J'y reviens à chaque roman et je n'ai pas l'impression d'avoir épuisé le sujet. Quand on parle de drame et de mort, la mémoire est toujours convoquée. Il y a la mémoire du mort qui veille la nôtre et qui la tient en éveil, le souvenir des disparus qui prend toute la place.»

Elle ne s'estime pourtant pas une auteure à message, et désire par-dessus tout raconter une histoire «mais ne pas se contenter de la raconter banalement», réfléchir et faire réfléchir le lecteur, creuser un sujet le plus profondément possible et surtout, créer des univers. C'est pourquoi Rivière Tremblante est un village fictif: inventer un lieu lui donne une plus grande liberté d'action. Andrée A. Michaud a aussi su créer deux narrateurs très puissants: Marnie, d'apparence plus fragile parce qu'elle a peur de la folie, et Bill, au ton plus direct, à la colère et à l'aigreur encore palpables. Elle a ainsi écrit en alternance les deux histoires qui se répondaient, estimant qu'elles seraient plus puissantes réunies en un seul roman.

«Pour être écrivain, il faut avoir plusieurs personnalités, être capable de changer de peau, explique-t-elle. Mais je ne connais pas le passé de mes personnages, sauf ce que j'en dévoile.» Donc, l'auteure ne connaît pas le sort de Billie, ni celui de Michael, et préfère cultiver ce mystère - sa marque de commerce, qu'on a pu apprécier dans ses deux précédents romans, Mirror Lake et Lazy Bird. «Si je l'avais su, il aurait fallu que je l'écrive.»

Quand on pense aux parents et aux proches de tous ces enfants disparus sans laisser de trace, les Cédrika et Jolène de ce monde, en se disant «Je ne sais pas comment ils font», Andrée A. Michaud nous en donne ainsi un petit aperçu. Bienvenue dans leur cauchemar.

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Rivière Tremblante. Andrée A. Michaud. Québec Amérique, 368 pages.