Mais qui est vraiment Early Taggart, dit Gueule-Tranchée Qui Pue? Est-il tireur d'élite, leader d'une révolte de mineurs, ermite, bluesman, journaliste? Jeté dans une rivière à 2 mois par sa mère et sauvé des eaux par une veuve qui distille clandestinement de l'alcool et l'élèvera comme son fils, Early Taggart connaîtra une vie hors du commun. Il lui restera comme séquelle de son séjour dans l'eau des gencives bourrées d'abcès, d'où son surnom. Mais surtout, le jeune garçon apprendra vite à garder la bouche fermée, agissant d'autant plus qu'il économise ses mots.

Premier roman passionnant de Glenn Taylor, professeur de littérature de Chicago, La ballade de Gueule-Tranchée est l'histoire d'un homme, oui, mais aussi celle d'un siècle de révolutions sociale, politique et musicale au coeur des États-Unis, sur fond de racisme, de pauvreté et d'exploitation.

Early Taggart, qui est né en 1903 en Virginie-Occidentale et qui y mourra 108 ans plus tard, changera souvent de nom et de lieu de résidence, mais restera toujours fidèle à son coin de pays et aux opprimés qui l'habitent. Il a la mémoire longue, Gueule-Tranchée, et n'oublie ni ses amis - il y a de l'amour, du sens de la filiation et de la tendresse dans ce livre -, ni ses ennemis. Surtout pas ses ennemis, qui d'ailleurs le lui rendent bien.

Roman picaresque et historique mené tambour battant sans pourtant tourner les coins ronds, La ballade de Gueule-Tranchée est ce genre de livre qu'on ne dépose pas souvent, qui tient en haleine, fait sourire et prend souvent par surprise. Entre dégoût et fascination, on suit Early Taggart qui lui, cavale toujours, poursuivi par son passé. «Ne te laisse pas embobiner», lui dira sa mère adoptive avant de mourir. C'est plutôt lui qui réussit toujours à convaincre ceux qu'il rencontre, grâce à son charisme particulier qui lui permet de vivre 1000 vies et d'y survivre, qu'il habite seul dans les montagnes pendant 25 ans, remporte le Pulitzer du journalisme régional pour sa couverture de la campagne de JFK en 1960 ou joue de l'harmonica avec Chuck Berry.

Même si on sent parfois que l'auteur n'a pas résisté à la tentation d'en mettre beaucoup et de faire un peu d'esbroufe et même si la traduction franco-française peut parfois agacer, on se laisse happer par ces aventures pétaradantes, portées par un air de blues et la gnôle qui gèle toutes les douleurs.

La ballade de Gueule-Tranchée

Glenn Taylor

Traduit par Brice Matthieussent

Grasset, 347 pages