L'humour britannique à la Jonathan Coe comme remède au désespoir profond, ce n'est pas si mal comme programme. En fait, cela s'avère même un véritable plaisir!

La vie très privée de Mr Sim est l'épopée tragicomique d'un homme très ordinaire en quête de lui-même et de vraies relations humaines, dans une société où il est plus facile de multiplier les amis Facebook que d'engager une véritable conversation avec ses semblables.

Maxwell Sim a 48 ans. Une âme à la dérive depuis que sa femme l'a quitté six mois plus tôt, emmenant leur fille. En arrêt de travail pour dépression, il croit s'en sortir quand un ami lui propose de se rendre seul en voiture à l'extrême nord du Royaume-Uni pour vendre des brosses à dents haut de gamme et écolos. Avec pour toute compagnie la séduisante voix féminine du GPS, qu'il baptise Emma, pour Emma Thompson, et dont il tombera amoureux.

La belle complicité d'une Chinoise et de sa fille entrevues dans un restaurant de Sydney, où il s'était rendu dans l'espoir de se raccommoder avec son père, avait déclenché auparavant une remise en question. Depuis sa naissance (non voulue, découvre-t-il), il multiplie les échecs dans ses relations avec son père, sa femme, sa fille, ses rares amis...

En chemin, il plonge malgré lui dans son passé et dans celui de son père. Il se découvre une parenté avec un véritable antihéros, Donald Crowhurst, homme d'affaires britannique qui a participé à une course à voile en solitaire en 1969. Alors qu'il devait remporter la bourse remise par le Sunday Times, Crowhurst est disparu en mer, laissant derrière lui la preuve qu'il avait falsifié ses carnets de bord et qu'il était devenu fou.

«Qu'est-ce que cela nous apprend sur notre époque actuelle, pour que nous trouvions plus facile de nous identifier», non pas à un sportif opiniâtre et courageux, mais à «un homme qui s'est menti et qui a menti à son entourage, un petit homme dans les affres d'une crise existentielle désespérée, un tricheur tourmenté?», s'interroge un personnage à propos de Crowhurst. Le lecteur peut se poser la même question au sujet de Sim lui-même.

Car l'histoire de cet homme qui s'est toujours laissé porter par les événements reflète aussi une époque. C'est une critique d'une génération qui peine à grandir, des dérives qui ont mené à la récente crise économique, de la consommation effrénée. Pas géniale, l'idée de remplacer les usines par des boutiques, de bâtir toute une société sur du vent, commente Maxwell en chemin. «Avons-nous oublié que la prospérité nécessite un support solide, tangible?» Même le réseau routier semble construit pour qu'on ne s'approche surtout pas des lieux où l'humanité se rassemble. Très contemporain dans les détails: l'engouement pour les véhicules hybrides, l'envahissement des comptoirs à sandwiches par les paninis et les cappucinos, le hamburger acheté avec un sentiment de culpabilité (aussitôt apaisé par un autre achat, celui d'une bouteille d'eau minérale trop chère à la grenade et au litchi...), le roman n'est pas sans défaut. On peut sans doute lui reprocher d'être bavard, plein de digressions qui tombent parfois dans le cabotinage. Qu'importe. Les amateurs de satire sociale y trouveront leur bonheur, bonifié par une finale surprenante et quelques pistes de réflexion.

La vie très privée de Mr Sim

Jonathan Coe

Traduction de Josée Kamoun

Gallimard, 453 pages