Dans une vie, Per Olov Enquist fut enfant opprimé, sportif de haut niveau, journaliste témoin de grands événements, profondément dépressif et ravagé par l'alcool, mais dans une autre vie, celle comptant vraiment à ses yeux, il est écrivain: un géant de la littérature suédoise.

À 76 ans alertes il savoure «une autre vie», titre de son dernier roman autobiographique publié en France par Actes Sud. «Les 20 dernières années ont été fantastiques. J'ai écrit beaucoup de livres, plus que durant tout le reste de ma vie», assure celui qui, né en 1934 à Hjoggböle dans le grand nord suédois, publia son premier roman «Kristallögat» en 1961.

Grâce à l'écriture, il s'est miraculeusement extirpé du terrible «trou noir» dans lequel il s'était inexorablement enfoncé au cours de ses 56 premières années.

«Je crois que toute ma vie j'ai voulu être écrivain et je n'ai jamais laissé tomber. Il n'a pas été facile de survivre...», raconte l'écrivain.

Dans son appartement de Stockholm, un pan entier de mur est masqué par des livres de poésie, de théâtre, par des romans ou des contes: son oeuvre, rien que son oeuvre, en suédois, anglais, français, russe, etc.

«C'est ma bibliothèque égocentrique, explique-t-il. A chaque fois que je perds le moral parce que je ne parviens pas à écrire, je la regarde et je me dis «allez, ce mur fait 7 mètres de long, j'ai donc fait un petit quelque chose dans ma vie, alors je peux mourir»».

Des pages et des pages dans lesquelles il ausculte l'histoire, la sienne ou la grande, et gratte là où ça fait mal car «il serait ennuyeux à mourir d'écrire un roman pour dire que tout va bien».

La mort, il en a été tout près durant ses années alcoolisées, mais la troisième cure fut la bonne parce qu'on lui laissa la jouissance de son ordinateur et qu'un beau jour, il se rendit compte qu'il était «toujours un écrivain».

«Cela faisait 13 ans que je n'avais pratiquement pas écrit une ligne et en écrivant La bibliothèque du capitaine Nemo je me suis rendu compte que je n'avais pas subi de lavage de cerveau», dit-il en estimant que ce roman lui avait «sauvé la vie».

Néanmoins, il concède que toutes ces années, en particulier les trois passées à Paris sans quasiment dessoûler, ont été perdues: «Je vivais dans un somptueux appartement sur les Champs-Elysées, mais je ne pouvais rien écrire (...) Je me souviens de la magnifique vue que j'avais depuis le balcon, Paris était très beau à regarder, mais je n'arrivais pas à l'utiliser».

Un regret pointe dans ces paroles mais aucun apitoiement ni reniement, juste un regard en arrière pour mieux repartir de l'avant, comme dans son autobiographie écrite à la troisième personne «par honnêteté» pour pouvoir tout dire. «Une autre vie» ne couvre d'ailleurs que la première partie de son existence, jusqu'à sa renaissance en 1990.

Il laisse derrière lui les souvenirs d'avoir dû dormir dans le lit destiné à son frère mort à la naissance, de l'absence d'un père décédé alors qu'il n'avait pas un an, d'une mère rigoriste qui le pousse à inventer des péchés à confesser.

Il tire également un trait sur son passé de sauteur en hauteur qui manqua de peu la qualification pour les Jeux olympiques de Rome en 1960, et sur sa carrière journalistique qui le conduisit notamment au coeur du cauchemar des JO 1972 de Munich avec le carnage perpétré par Septembre noir dans la délégation israélienne.

Un élément fait le pont entre les deux époques de sa vie: des convictions politiques sociales-démocrates affirmées tout au long de son oeuvre.

Mais s'il est fier d'être un écrivain politique, comme l'a été l'un de ses auteurs fétiches August Strindberg le «créateur de la prose suédoise», Per Olov Enquist refuse d'être un homme politique: «je suis un écrivain indépendant qui écrit sur la politique, mais me retrouver au centre et être dépendant, non non...»