The Book of Negroes, qui a valu de nombreux prix à son auteur Lawrence Hill, paraît cette semaine en version française. Un roman immense et dur qui lève le voile sur un épisode méconnu de l'histoire canadienne: l'arrivée de milliers de loyalistes noirs américains en Nouvelle-Écosse au lendemain de la guerre d'indépendance américaine.

Aminata Diallo a 11 ans lorsqu'elle est arrachée à sa famille et à son village du Mali par des trafiquants d'esclaves. Après trois mois de marche, elle prendra avec d'autres un bateau vers l'Amérique. Une traversée effroyable à rendre fou ou malade le plus solide des hommes.

Elle deviendra esclave dans une plantation d'indigo en Caroline du Sud, fuira à New York puis en Nouvelle-Écosse, avant de participer à l'établissement de Freetown, en Sierra Leone, et à la lutte pour l'abolition du commerce des esclaves.

Son destin paraît incroyable, mais s'appuie sur des faits réels qui ont frappé l'imagination du romancier ontarien Lawrence Hill: le retour en Afrique d'esclaves affranchis, après un séjour au Canada à la fin du XVIIIe siècle. Comme Aminata, certains se sont même rendus jusqu'à Londres pour militer contre la traite des Noirs, qui a pris fin en 1808.

Au lendemain de la guerre d'indépendance américaine, un contingent de 3000 loyalistes noirs américains sont ainsi débarqués en Nouvelle-Écosse sur la promesse, non tenue, de l'armée britannique de fournir une terre et la liberté à ceux qui avaient choisi de travailler pour elle. Les noms de ces grands voyageurs sont consignés dans un véritable registre, The Book of Negroes. Mais la Terre promise n'a pas livré ses promesses. Plus du tiers ont fui l'oppression et la ségrégation pour retraverser l'Atlantique et créer 10 ans plus tard la colonie britannique de Freetown, en terre africaine.

Lawrence Hill a fait de ces événements un roman immense, dur et bouleversant, raconté à la première personne, à la façon des mémoires d'esclaves libérés qui ont été publiés à l'époque. Ce sont d'ailleurs les premiers livres publiés par des Noirs au Canada et aux États-Unis, fait-il remarquer.

«C'était un livre épuisant à écrire. C'est parfois épuisant d'en parler», souligne l'écrivain, de passage à Montréal pour le lancement de la traduction française dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs.

Pour se rapprocher de son héroïne, il a choisi de lui donner le prénom de sa fille aînée et d'imaginer qu'elle était sa propre fille. «Cela a été ma façon d'habiter le personnage. Je me demandais, à chaque page, comment ma fille aurait survécu, comment elle s'en serait sortie émotionnellement, spirituellement et physiquement.» Cela explique sans doute qu'Aminata paraisse si vraie, si vivante, mais aussi que les cinq années de recherche et d'écriture aient été parfois difficiles.

«Cela me fascine de voir comment des gens ont survécu à des horreurs sans continuer le cauchemar après. Comment est-ce qu'on peut vivre l'Holocauste, le génocide rwandais ou la traite d'esclaves transatlantique et ne pas être rempli de haine et d'amertume? Comment se fait-il que des gens ordinaires s'en sortent et veulent toujours aimer et bien vivre?»

Le romancier a voulu faire connaître un pan de l'histoire qu'on préfère occulter. «La plupart des Canadiens ne savent même pas que l'esclavage existait au Canada jusqu'en 1834. Que le premier esclave documenté au Canada était un jeune Noir de 8 ans, de Madagascar, Olivier le Jeune, arrivé à Québec en 1628.»

On sent toutefois chez lui la volonté claire d'éviter le manichéisme. Ses personnages ne sont jamais complètement bons ou mauvais, même les bourreaux. Dans le village d'Aminata, il y avait aussi un esclave africain, qui sera capturé une seconde fois. Lawrence Hill ne cherche pas à nier que l'esclavage existait en Afrique avant le commerce transatlantique pas plus qu'il ne veut comparer les différentes formes d'esclavage.

Rentrer chez soi

Ce qui garde Aminata en vie, c'est le souvenir de ses parents, mais aussi le rêve un peu naïf de rentrer chez elle. Mais peut-on vraiment «rentrer chez soi» quand la vie et les épreuves nous changent, quand notre village n'existe plus? Elle découvrira que ceux qui capturent leurs semblables pour les vendre peuvent aussi appartenir au peuple et à la religion de son père. À son bébé à naître, elle avait promis deux choses: lui rappeler son appartenance et lui apprendre à lire et à écrire, des compétences qui lui ont pratiquement sauvé la vie. Sa plus grande souffrance aura été d'être séparée des gens qu'elle aime, de sa famille, de ses enfants qu'on lui a enlevés.

Bilingue, fils d'immigrants américains qui ont consacré leur vie à la défense des droits de la personne, Lawrence Hill a fait un bac en économie à Québec à la fin des années 70. Avec l'organisme Carrefour canadien international, il a travaillé à la même époque comme coopérant au Niger, au Cameroun et au Mali. Ces expériences ont marqué l'écrivain qu'il allait devenir.

«Je n'aurais jamais pu écrire ce livre ni les autres sans avoir vécu en Afrique, dit-il. Cela m'a permis aussi de me connaître un peu moi-même, ma famille étant en partie noire. Et j'ai tissé ici au Québec des amitiés qui durent encore.»

Lawrence Hill travaille maintenant au scénario d'un film tiré d'Aminata, avec le réalisateur torontois Clement Virgo. «On a trouvé le financement au Canada. Il s'agit maintenant de trouver le financement aux États-Unis, en Angleterre et en Afrique du Sud.» Il achève aussi un nouveau roman, son premier depuis The Book of Negroes et le récit coécrit avec le déserteur américain Joshua Key en 2007.

Heureux de retrouver une plus grande souplesse d'écriture, sans les contraintes du roman historique, il met en scène des réfugiés illégaux dans une contrée riche et fictive nommée non pas Freetown mais Freedom State. Une autre histoire de grands voyageurs en quête de liberté.

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Aminata. Lawrence Hill. Traduit de l'anglais par Carole Noël. Éditions de la Pleine lune, 568 pages.